Soudan : la diplomatie pourra-t-elle enrayer un scénario catastrophique ?

Il y aura bientôt un an et demi, comme résultat d'une analyse de plusieurs mois et de rencontres avec de très nombreux observateurs et acteurs des interminables conflits soudanais, nous remettions à la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le rapport d'information qu'elle nous avait commandé sur la situation au Soudan.

Si la tonalité pessimiste qui courait au long de notre propos nous a paru un temps exagérée, compte tenu de la manière dont les élections générales d'avril 2010 et le référendum de janvier 2011, surtout, se sont finalement déroulés, à la surprise et à la satisfaction de la communauté internationale, force est aujourd'hui de constater que nous n'étions sans doute malheureusement pas loin de la vérité.

Aujourd'hui, en effet, dans plusieurs régions du pays, la tension est de nouveau à son comble. La situation sécuritaire des populations civiles n'a cessé de se dégrader, le président El Bechir ayant notamment mis depuis plusieurs mois maintenant les bouchées doubles pour pilonner de nouveau le Darfour. Les bombardements aériens et les attaques au sol sont incessants, provoquant la destruction d'innombrables villages et le déplacement forcé des populations civiles par dizaines de milliers, plus de 70 000 à ce jour.

Il en est de même au Kordofan-Sud où les populations Nouba, contre lesquelles l'histoire se répète à bientôt trente ans d'intervalle, revivent la politique de terreur que Khartoum leur avait imposée dans les années 1980. Le procureur général de la Cour pénale internationale et le secrétariat général des Nations unies reparlent qui de nettoyage ethnique, qui de crimes contre l'humanité et de génocide. Comme les ONG internationales, les agences des Nations unies, PAM (Programme alimentaire mondial) et HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés), ont les plus grandes difficultés à acheminer leur aide humanitaire, cependant que les casques bleus sont pris pour cible.

De son côté, le Conseil de sécurité ne cesse d'exprimer sa préoccupation, sur la situation dans la région d'Abyei, notamment, qui depuis plusieurs mois est également devenue, comme cela était plus que prévisible, le point central de la crispation entre le Nord et le Sud à mesure que l'échéance du 9 juillet approche. Là, ce sont quelque 160 000 personnes qui ont dû fuir les zones de combats faisant des populations civiles leurs premières victimes. Au-delà de cette tragique actualité, les éléments d'un scénario humanitaire catastrophique, pouvant affecter des millions de civils, sont également posés : les combats ayant perturbé les débuts de la saison agricole, de graves pénuries de nourriture sont à craindre dans les prochains mois.

Sur cette toile de fond des plus inquiétantes à deux semaines de l'accession à l'indépendance du Sud-Soudan, la diplomatie a-t-elle encore des chances de pouvoir enrayer l'effroyable escalade au Darfour, à Abyei, au Sud-Soudan et d'imposer la coexistence pacifique des deux Etats ? Certes, un énième accord est intervenu à Doha à la fin du mois de mai entre toutes les parties prenantes au conflit au Darfour, qui a défini un document cadre au règlement du conflit. Il n'a pour l'heure pas réussi à ralentir la violence des affrontements militaires, et peut-on même oser espérer qu'il pourra offrir une chance de plus d'ouvrir la voie à l'instauration d'un processus de dialogue concret qui déboucherait véritablement sur un accord inclusif mettant fin au conflit ? De même, un accord a aussi été trouvé le 20 juin entre les gouvernements du Nord et du Sud-Soudan sur la région d'Abyei, dont le secrétaire général des Nations unies a salué la conclusion en appelant les intéressés à coopérer avec les Nations unies et les négociateurs et à respecter pleinement les dispositions sur la démilitarisation de la zone.

Sans préjuger de la sincérité de l'engagement des uns et des autres à ces différents processus, force est cependant de rappeler que les corbeilles de l'histoire soudanaise débordent de tels accords, souvent caducs avant même que leur encre ait séché. Ce serait donc faire preuve d'un angélisme coupable que de croire que le ciel soudanais s'éclaircit aujourd'hui sur les deux fronts et que la collaboration sans arrière-pensées de l'ensemble des acteurs est acquise. D'un côté comme de l'autre, les intérêts en jeu et les logiques à l'œuvre sont tels, et depuis si longtemps, que la question se pose encore de savoir si la conclusion de la paix est une option sérieusement envisagée par les divers belligérants. Au Darfour, cela vaut tant pour Khartoum que pour les rebelles. Au Sud, sur fond de partage des recettes pétrolières, se greffent de nombreuses tensions, interethniques notamment, dont le Nord a parfaitement su jouer : dette, citoyenneté, monnaie, questions pastorales et agraires, sont autant de points de friction que les médiations et négociations engagées à la suite du référendum d'autodétermination n'ont pas encore réussi à régler.

Il nous sera permis de revenir ici sur les conclusions que nous formulions en février 2010 : Au terme de notre analyse, nous avions mis en évidence que l'ensemble des drames qui n'ont cessé d'endeuiller le Soudan depuis son indépendance avaient essentiellement une origine, la volonté de marginalisation des périphéries du pays et de captation des richesses. "Au-delà de la question du Darfour, écrivions-nous, c'est précisément sur cette même réalité que s'articule l'ensemble des crises soudanaises depuis l'indépendance. Aucune des guerres soudanaises, dans les Monts Nouba, l'Est et le Sud Soudan, demain peut-être au Kordofan, n'a d'autres racines que la prétention à la domination totale de l'élite arabe des environs de Khartoum."

Nombre d'experts coïncident sur ce point, et l'histoire du Soudan depuis 1956 a apporté plus de preuves qu'il n'en faut pour se convaincre que Khartoum, quoi que l'on puisse parfois penser et espérer, aura les plus grandes réticences à renoncer à ce pour quoi il s'est constamment battu avec la plus extrême violence. On ne sache pas que les circonstances aient changé pour qu'il en aille différemment demain.

Il faut donc se souvenir que les parties prenantes aux conflits soudanais n'ont jamais été amenées à réellement négocier que lorsque la communauté internationale s'est décidée à exercer la pression qu'il fallait ; que ce n'est que grâce à son implication forte, spécialement de la part des Etats-Unis, que l'Accord de paix global avait pu être conclu en 2005 ; que ce n'est jamais que lorsque Khartoum, notamment, a jugé que les négociations répondaient à son intérêt sur le long terme que des progrès ont pu être enregistrés, quelles que soient les ambiguïtés des textes en débat.

En ce sens, il n'est cependant peut-être pas trop tard pour que la communauté internationale prenne à nouveau ses responsabilités pour tenter d'éviter le pire. Les ministres des affaires étrangères réunis à Deauville lors du sommet du G8 ont indiqué que ce n'était pas eux qui pouvaient résoudre la crise actuelle. Nous croyons qu'ils peuvent cependant jouer d'atouts majeurs pour y contribuer. En premier lieu, du fait que le gouvernement de Khartoum, à l'heure où ses recettes pétrolières sont appelées à diminuer, a un besoin impératif de réduire la colossale dette du pays. Ensuite, dans la nécessaire reconnaissance internationale du nouvel Etat sud-soudanais dès le 9 juillet. Les clefs d'un dialogue politique équilibré qui ne doit évidemment pas être rompu avec le Nord, se trouvent là, nous semble-t-il. L'Union européenne a un rôle particulier à jouer sur ces dossiers. Notre pays aussi, de part sa présence régionale, ses intérêts, les positions fortes qu'il a eu l'occasion de prendre par le passé sur divers aspects de ces dossiers.

L'avenir du Soudan a été tracé par les parties prenantes et la communauté internationale en 2005. Dès la conclusion du CPA (Comprehensive Peace Agreement), la sécession du Sud était actée. Le principe du partage des ressources pétrolières, entre autres questions fondamentales, était abordé, qu'il aurait fallu traiter sans tarder. Tout au contraire, rien n'a ensuite été fait, ou si peu et si tard, au long de la période de transition jusqu'au référendum de janvier, pour régler les modalités d'un divorce à l'amiable et assurer le succès du CPA. Comme nous le soulignions aussi dans notre rapport, la dynamique d'une crise majeure a été enclenchée il y a longtemps par l'inconséquence de la communauté internationale qui n'a pas su garantir le succès de l'accord qu'elle avait porté à bout de bras. Le Soudan et les populations soudanaises paient aujourd'hui le prix de cette incurie.

En 2009, Jean Ping, président la Commission africaine, avait eu l'occasion de dire devant le Conseil de sécurité que ce qui se jouait au Soudan était pour l'Afrique d'une importance existentielle. Il est temps que la mesure soit prise de la gravité de la situation actuelle. La communauté internationale doit s'engager de nouveau pour forcer la volonté politique des parties et contribuer à préserver la stabilité de la région et le futur de l'Afrique qui en dépendent au plus haut point.

Serge Janquin, député (PS) du Pas-de-Calais, et Patrick Labaune, député (UMP) de la Drôme, membres de la commission des affaires étrangères.

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