Sourds et aveugles, pourquoi?

Le Trump International Hotel à Washington D.C., devant lequel une manifestation de protestation a eu lieu, le mercredi 9 novembre 2016.
Le Trump International Hotel à Washington D.C., devant lequel une manifestation de protestation a eu lieu, le mercredi 9 novembre 2016.

Incrédulité, stupéfaction, sidération! Depuis l’annonce de l’élection de Donald Trump, ce sont les mots qui sont revenus en boucle, prononcés aussi bien par les journalistes que par ceux qu’ils interrogeaient.

Comment un tel étonnement est-il possible alors que 3% seulement séparaient les deux candidats dans les sondages? Alors que le Brexit était passé par là? Alors que n’importe quel observateur sérieux pouvait constater dans la rue que l’Amérique était coupée en deux? Pourtant, en dépit de la plus élémentaire prudence, l’ensemble des milieux bien informés pariaient sur la victoire d’Hillary Clinton.

Pas la faute aux sondages!

C’est la faute aux sondages, disent-ils désormais. Facile! Pourtant, les sondeurs ne se sont pas trompés en plaçant Mme Clinton en tête, puisqu’elle a effectivement obtenu, d’une courte tête, la majorité des suffrages populaires exprimés (200’000 voix, soit 47,7% contre 47,5 à son adversaire).

Malheureusement pour ses partisans, c’est selon un système majoritaire que les grands électeurs tombent dans un camp ou dans l’autre. Ainsi, Donald Trump a-t-il empoché les 29 grands électeurs de Floride pour 120’000 voix d’écart (1,3%) et les 20 de la Pennsylvanie pour 68’000 voix (1,2%), de sorte que ce sont seulement 0,16% des électeurs qui ont fait pencher la balance en sa faveur.

Fantaisie

Pour percevoir à coup sûr des différences aussi ténues, bien en deçà des marges d’erreur habituelles, il faudrait de vastes échantillons. C’est pourquoi, au lieu de mandater plus de 1000 sondages (!) durant cette période, dans le but de créer du rebondissement dans une campagne qui pourtant n’en manquait pas, les médias auraient mieux fait d’en acheter moins, mais de plus solides, dans les Etats décisifs.

En outre, plusieurs rédactions ont entrepris d’utiliser les chiffres pour estimer les probabilités de gagner des deux candidats. Une d’entre elle a ainsi titré qu’Hillary Clinton avait 98% de chances de devenir le 45e président des États-Unis. Fantaisiste!

La vraie question est ailleurs

Dès lors que les sondages ne sont pas responsables puisqu’ils avaient prédit un coude à coude, pourquoi cet aveuglement et ce déni de réalité chez des journalistes qui ne sont pas nés de la dernière pluie? Là est la vraie question!

La réponse tient au fait que, dans un pays qui vote à 50/50 pour chaque camp, l’immense majorité des médias se revendiquent d’un seul bord. En Suisse, il en va de même, ce qui est particulièrement patent lors de votations sensibles. En France aussi la presse est plutôt monocolore, et ailleurs encore. Comment prétendre être indispensable à la démocratie, ce que soutiennent à juste titre les médias, s’ils ne représentent que la moitié des opinions?

Internet, autrement moins sérieux mais plus diversifié

Deux phénomènes découlent de ce déséquilibre. L’un est une désaffection du public vis-à-vis des sources classiques d’information qui perdent inexorablement leur clientèle, au profit du foisonnement d’Internet, autrement moins sérieux mais plus diversifié.

L’autre est une montée du populisme, dès lors que la «parole libérée» n’est qu’une réponse à la «parole confisquée» par l’establishment, peu soucieux d’entendre des pans entiers de la population, dont certains se sentent déjà économiquement ou socialement défavorisés.

Comme si de rien n’était

Ce n’est pas en voie de changer si l’on en croit les éditoriaux, les manchettes et les dessins de presse outranciers qui ont suivi la victoire de Trump. En même temps que les commentateurs se demandaient «Comment n’a-t-on rien vu venir?», dans une apparence de mea culpa, ils continuaient donc, comme si de rien n’était, comme s’ils restaient sourds aux enseignements répétés des votes, à proférer leurs mêmes anathèmes.

S’ils voulaient vraiment se donner les moyens d’être moins aveugles et moins sourds lors d’une prochaine échéance, encore faudrait-il qu’ils admettent que la diabolisation ne paye pas et que le dialogue constructif, l’écoute attentive, et les réponses nuancées seraient plus payantes.

Marie-Hélène Miauton, essayiste.

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