Sri Lanka: exiger vérité et justice

Difficile de se reconstruire quand le gouvernement nie les crimes qu’il a commis contre ses proches. Au Sri Lanka, deux versions de la vérité s’affrontent: celle des Tamouls, parmi lesquels 70 000 civils auraient été tués lors de l’écrasement de la rébellion il y a quatre ans, et celle des autorités sri lankaises, qui refusent toute enquête internationale et tentent d’enfermer ces crimes de guerre sous une chape de plomb.

Pour le gouvernement sri lankais, tous les moyens sont bons pour faire taire les voix discordantes. Y compris à Genève: la mission du Sri Lanka a tenté en février de cette année de faire interdire la diffusion d’un documentaire au Palais des Nations. L’ambassadeur a même demandé la suspension de l’accréditation auprès de l’ONU d’Amnesty International et de Human Rights Watch, qui présentaient le film. Fort heureusement, le gouvernement suisse a rappelé que la liberté d’expression règne en Suisse et a désapprouvé cette tentative de la museler.

Ce documentaire choc, No Fire Zone, décrit comment les autorités sri lankaises ont attaqué délibérément des zones qu’elles avaient déclarées «zones de cessez-le-feu», bombardant les civils qui s’y étaient réfugiés. Au travers de vidéos tournées sur des téléphones portables, le film documente plus de quatre mois d’attaques incessantes, les mettant en parallèle avec les déclarations mensongères du gouvernement sri lankais, qui prétend que l’opération militaire n’a fait aucune victime.

Preuves accablantes

Personne ne sait combien de personnes ont été tuées, mais les estimations de l’ONU parlent de 40 000 à 70 000 morts. Le gouvernement sri lankais a déployé des efforts considérables pour que l’offensive militaire se fasse sans témoins, notamment en empêchant les observateurs indépendants et les journalistes de se rendre dans les zones de conflit. L’armée sri lankaise a pilonné des hôpitaux de fortune, pourtant identifiés par une croix rouge. Les vidéos montrent des corps d’enfants démembrés, des mères qui hurlent, des gens qui tentent de se réfugier, en vain, dans des tranchées creusées pour échapper aux bombardements. L’horreur absolue.

Malgré ces preuves accablantes, le gouvernement sri lankais persiste à refuser toute enquête indépendante. En 2010, le président Mahinda Rajapaksa a pourtant mis sur pied la Commission enseignements et réconciliation. Une commission en apparence chargée de mener des enquêtes, mais qui visait en réalité surtout à faire diminuer les reproches émis au niveau international.

Malgré plusieurs résolutions du Conseil des droits de l’homme de l’ONU qui demandent au Sri Lanka d’établir les responsabilités de chaque acteur du conflit dans les violations du droit international, le gouvernement fait la sourde oreille. Il a au contraire laissé à l’armée et à la police – pourtant impliquées l’une comme l’autre dans de graves violations des droits humains et du droit humanitaire – le soin de régler elles-mêmes les problèmes en interne.

Et la Suisse refoule

En vue de la réunion des Etats du Commonwealth au Sri Lanka en novembre, Amnesty International a décidé de mener campagne pour exiger que le gouvernement sri lankais mette enfin sur pied une enquête crédible sur les crimes de guerre présumés, commis par l’armée et par les Tigres tamouls. Amnesty demande aussi l’abrogation de la loi sur la prévention du terrorisme, qui permet de maintenir en détention, sans inculpation ni jugement, toute personne soupçonnée de terrorisme.

Les autorités suisses, elles, doivent en outre cesser de renvoyer des requérants d’asile déboutés au Sri Lanka et leur accorder une protection dans notre pays. De nombreux témoignages attestent que des demandeurs d’asile tamouls, dont la requête avait été rejetée en Europe ou ailleurs, ont été arrêtés de façon arbitraire et torturés lors de leur retour au pays.

Manon Schick, directrice de la section suisse d’Amnesty International

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