Suicides dans les usines chinoises: le silence des géants de l’électronique

Inconnue il y a deux semaines, la multinationale taïwanaise Foxconn Technology occupe aujourd’hui le haut de l’actualité. En effet, depuis le début de l’année douze employés, âgés de 18 à 24 ans, ont tenté de se suicider dans l’usine de Longhua, située dans la zone industrielle de Shenzen. Dix de ces ouvrières et ouvriers sont décédés, deux ont survécus avec des séquelles importantes.

Foxconn Technology est le plus important fabricant de composants électroniques du monde. Avec un revenu de près de 63 milliards de dollars, la firme se classait en 2009 au 103e rang des 500 plus grandes sociétés transnationales. Elle fournit des ordinateurs, des télévisions, des consoles de jeux, des téléphones portables – dont l’iPhone – à des marques aussi prestigieuses qu’Apple, Dell, Hewlett Packard ou encore Nintendo. Dans l’usine de Longhua, où ont eu lieu les suicides, 300 000 personnes sont employées. L’usine est une cité-dortoir surveillée comme une caserne militaire. A l’intérieur des restaurants, magasins et cinémas offrent l’illusion de la société de consommation. Pourtant, avec des journées de 12 heures de travail, parfois sept jours sur sept, la majorité des 300 000 ouvriers n’ont que peu de temps et d’argent pour des loisirs. Dans la ligne d’assemblage, les gestes sont répétitifs, les cadences rapides, la pression psychologique élevée. Comme le souligne un journaliste du Southern Weekly, «les ouvriers finissent par marcher et manger au rythme de la chaîne de production». Au niveau des salaires, les ouvriers gagnent environ 900 yuans (152 francs suisses) par mois, ce qui correspond au salaire minimum. Pour accroître leurs économies, les employés enchaînent les heures supplémentaires, au détriment du respect des normes légales en la matière.

C’est dans ce contexte qu’a eu lieu, depuis le début de l’année, une vague de suicides. Comment comprendre ces actes? Pour la direction de Foxconn, le problème est d’ordre psychologique et individuel. Dans un premier temps, la firme a minimisé les faits en déclarant que le taux de suicide à Foxconn était inférieur à celui de la société chinoise. Elle a ensuite pris une série de mesures quasi militaires: des filets ont été suspendus afin de rattraper d’éventuels suicidaires et les nouveaux employés ont été invités à signer une déclaration dans laquelle ils s’engagent à ne «pas se faire de mal», à eux ou à des collègues. Suite aux fortes réactions qu’ont suscitées ces mesures, la direction de Foxconn a fait marche arrière. Elle a alors réorienté ses activités vers le «soutien psychologique»: elle a invité des moines bouddhistes à l’intérieur de l’usine et a établi une ligne téléphonique – une «suicide hotline» – modérée par des professionnels de la santé.

En individualisant ainsi le politique et en psychologisant le social, la firme taïwanaise minimise sa responsabilité et reporte l’attention sur les employés et sur leur prétendue fragilité mentale. Fin mai, Foxconn a enfin adopté une mesure politique: la firme a annoncé une augmentation de salaire de 20%. La nouvelle est positive, mais doit être placée dans son contexte: dans plusieurs provinces chinoises, le salaire minimum légal a été augmenté de 20% récemment.

La réponse des grandes marques comme Apple ou Dell est également insatisfaisante. L’Electronic Industry Citizenship Coalition (EICC) – une initiative sectorielle qui regroupe plus de 40 entreprises électroniques –, a publié le 28 mai un communiqué de presse déplorant «les récents événements en Chine» et annonçant la création d’un groupe de travail. Elle omet cependant de mentionner que le cas de Foxconn n’est pas unique: ce qui se passe actuellement à Shenzen peut se passer dans d’autres usines, dans d’autres villes, dans d’autres pays. Le problème est endémique et la solution doit être systémique.

Pour les organisations non gouvernementales, Pain pour le prochain et Action de Carême, qui travaillent depuis plusieurs années sur ce thème, deux aspects sont à considérer.

Premièrement, les firmes occidentales doivent accroître la cohérence de leurs politiques internes. En effet, des sociétés telles qu’Apple ou Dell ont adopté des codes de conduite depuis 2004. Mais les délais de livraisons, les prix, la précarité des relations contractuelles rendent difficiles le respect de ces codes de conduite par les fournisseurs.

Deuxièmement, les marques électroniques ainsi que leurs fournisseurs doivent entamer un dialogue social avec des organisations non gouvernementales indépendantes et avec des représentants des ouvriers. En effet, tant que les ouvriers des usines ne connaîtront pas leurs droits, tant qu’ils ne pourront pas s’organiser et élire des commissions du personnel indépendantes, tant qu’il n’existera pas des mécanismes de dépôt de plaintes et des processus de dialogue entre la direction des usines et le personnel, les codes de conduite sont voués à rester lettre morte. L’amélioration des conditions de vie et de travail dans les cités-dortoirs de Chine ne peut pas être abordée comme un programme financier. Elle doit être discutée et élaborée avec les principaux concernés: les employés.

Chantal Peyer