Surenchère risquée en mer de Chine

Erreur de calcul ou dérapage volontaire ? La dernière offensive de Pékin en mer de Chine accroît un peu plus les tensions en Asie. Ces tensions sont anciennes et systémiques. Elles portent aujourd'hui sur des îlots en mer de Chine orientale, et demain peut-être sur les territoires perdus de l'Extrême-Orient russe.

La gestion des questions territoriales dépend des variations du système politique de la République populaire de Chine (RPC) et de l'ordre des priorités défini par le régime. Le Parti communiste chinois, traumatisé par l'effondrement du régime soviétique, a décidé dans les années 1990 de marcher sur les deux jambes de la croissance économique et du nationalisme pour conforter sa légitimité. Ainsi, la Chine a connu une croissance fulgurante qui a renforcé la confiance de ses dirigeants dans leur capacité à imposer leur position à leurs partenaires.

Mais, entre la Chine des années 2000 et celle de la fin des années 1970, il n'y a pas de différence de nature. Ce qui a changé, c'est l'ordre des priorités : pour Deng Xiaoping (1904-1997), qui héritait d'un pays exsangue, la priorité était bien la paix et le développement.

MULTIPLICATION DES INCIDENTS

Aujourd'hui, la priorité est l'affirmation de la puissance chinoise. La question fondamentale est donc celle du rôle que la RPC entend jouer dans le monde, mais d'abord dans son environnement. La multiplication des incidents en mer de Chine résulte aussi d'une mauvaise appréhension de la réalité des rapports de force.

La crise de 2008 a renforcé la confiance en soi du régime, persuadé du caractère définitif du retrait américain de l'espace asiatique. Après l'annonce de la stratégie du pivot, les Chinois ont voulu se rassurer en soulignant l'impossibilité pour les Etats-Unis de se dégager d'un théâtre moyen-oriental en crise. Mais Washington semble avoir fait son choix.

Les réticences américaines en Syrie, la volonté d'apaiser les tensions avec Téhéran s'expliquent aussi par la volonté de dégager des moyens au bénéfice d'un théâtre asiatique très instable. Contrairement sans doute à ce que Pékin avait cru, les Etats-Unis ne sont pas prêts à abandonner l'Asie, ne serait-ce que parce que c'est là que se trouve le moteur de la croissance mondiale et qu'une crise régionale aurait des répercussions mondiales.

Les Etats-Unis savent que leur départ renforcerait la tentation de l'autonomie au Japon et en Corée face à une puissance chinoise laissée sans contrepoids. Pourtant, Pékin est conscient de ses fragilités. La vague de pollution que les grandes métropoles du nord du pays ont connue a mis un peu plus en évidence les limites d'un modèle de croissance encore fondé sur l'absence de règles.

Le 3e plénum qui s'est réuni au mois de novembre a une fois de plus posé les bons diagnostics. Des réformes significatives ont été annoncées touchant à la fiscalité des entreprises d'Etat, au contrôle des naissances ou à l'organisation des camps de travail. Mais, dans le même temps, le président chinois, Xi Jinping, se pose en défenseur d'un rêve chinois perçu comme agressif en Asie.

STRATÉGIE EXTÉRIEURE DU RÉGIME

Bien plus que l'intérêt national, c'est l'intérêt du Parti communiste qui constitue le premier facteur déterminant la stratégie extérieure du régime. Dernier avatar : la proclamation d'une zone de contrôle aérien qui couvre une large partie de la mer de Chine orientale. Cette décision impose de s'interroger sur l'efficacité du système.

En effet, les dirigeants chinois ont défini une zone qui ne peut être contrôlée sous peine d'une crise majeure. C'est ce que Washington et Tokyo, puis Séoul, se sont empressés de démontrer en la survolant sans en référer aux autorités chinoises. Cette provocation a suscité une flambée de nationalisme sur Internet, dirigée autant contre Tokyo et Washington que contre un pouvoir impuissant à agir.

Au-delà de l'erreur de calcul, la décision prise par Pékin est peut-être aussi le signe du poids croissant d'un appareil stratégico-militaire d'autant moins contrôlable qu'il entretient des liens de proximité avec le nouveau président chinois. Dans ces circonstances, les scénarios d'un possible dérapage deviennent plus crédibles.

En effet, le régime tend à s'enfermer dans une position dont il ne peut sortir sans dommage. Ne pas riposter, c'est prendre le risque de l'illégitimité. Riposter, en revanche, c'est prendre le risque d'un conflit totalement disproportionné avec la plus grande puissance militaire de la planète.

Ainsi, contrairement à ce que le monde avait pu espérer, le développement économique de la RPC n'a pas abouti à une intégration apaisée au système international, et la spécificité du régime l'emporte sur les évolutions induites par la politique de réformes et d'ouverture suivie depuis plus de trente ans. Si cette divergence, qui sépare la puissance chinoise du reste du monde, n'est pas prise en compte par les partenaires de Pékin dans leur relation avec le géant chinois, le risque que d'autres mauvais calculs ne débouchent sur une crise majeure serait considérable.

Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique.

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