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L’accroissement du savoir scientifique passe nécessairement par des erreurs (4/6)

L’accroissement du savoir scientifique passe nécessairement par des erreurs (4/6)

« Errare humanum est », l’erreur est humaine dit la maxime… qui se prolonge par perseverare diabolicum, c’est-à-dire la persévérance (dans l’erreur) est diabolique. Il n’existe sans doute aucune activité humaine exempte d’erreurs et personne ne contredira le fait que l’on apprend et que l’on découvre beaucoup grâce à ses erreurs… et à celles des autres, en observant le présent mais aussi le passé.

« Les erreurs sont les portails de la découverte. » Cette citation est souvent présentée comme extraite d’Ulysse (Folio, 2013), le roman du poète irlandais James Joyce (1882-1941). Mais il y a erreur, car ce qu’on y lit se traduirait plutôt par : « Un homme de génie ne se trompe pas (ou ne commet pas d’erreurs). Ses erreurs sont volontaires et sont les portails de la découverte », ce qui rend la notion d’erreur plus subtile, rapprochant la pensée de Joyce de celle de Pierre Dac (1893-1975), quand l’humoriste disait qu’une erreur peut devenir exacte, selon que celui qui l’a commise s’est trompé ou non. Cela mérite réflexion…

Chercher à dévoiler l’inconnu, révéler la « vérité », apprendre, comprendre, découvrir… sont des processus au cours desquels il faut avancer, guidé par son flair, mais où il faut aussi errer plus ou moins au hasard afin d’explorer les possibilités. Or, qui dit errer dit commettre des erreurs, voire des hérésies. En somme, pour être moins dans l’erreur, il faut en commettre.

Il n’est donc nullement paradoxal que la quête de connaissance et l’accroissement du savoir scientifique passent nécessairement par des erreurs. Il y a d’ailleurs davantage d’erreurs que de résultats justes et vouloir leur fermer la porte, c’est laisser la « vérité » dehors.

Cependant, l’erreur est généralement mal vue, et comme la science a été bâtie sur une raison censée lutter contre l’erreur, l’image que le public se fait de la science, et qui est véhiculée en partie par les scientifiques eux-mêmes, correspond à une activité dépouillée de son caractère humain, faillible. En sanctionnant les erreurs et en présentant des vérités établies, l’enseignement scolaire et supérieur, mais aussi toute notre culture, contribuent à faire croire que l’erreur est à bannir et que la science n’en commet pas, car elle progresserait en ligne droite selon une méthode qui l’en préserverait.

La pénicilline et la pilule contraceptive découvertes par hasard

En réalité, on estime qu’entre un tiers et la moitié de toutes les découvertes sont effectuées de manière inattendue. Cependant, comme le disait Pasteur, le hasard ne favorise que les esprits préparés. Les exemples de ce genre sont très nombreux, surtout dans le domaine médical. Le hasard a ainsi joué un rôle essentiel dans les découvertes ou la mise au point de la pénicilline, du LSD, de la pilule contraceptive, du Viagra, de la cyclosporine…

Quant aux erreurs, les plus grands génies en ont commises. Près de 20 % des articles d’Einstein contiennent des erreurs, quelquefois tout le long du texte, bien que le résultat final soit juste (voir à ce sujet le livre de Mario Livio, Fabuleuses erreurs, CNRS Editions, 2017).

De manière générale, les erreurs peuvent être extrêmement fructueuses, mais, dans tous les cas, elles amorcent de fécondes discussions, les débats étant essentiels en science pour mieux cerner le sujet, tout en étant sources d’idées. De plus, les erreurs et parfois les controverses qui s’ensuivent permettent – en principe du moins – une autocritique de l’activité scientifique et donc son amélioration.

Comme l’écrit le célèbre épistémologue Karl Popper (1902-1994) dans Conjectures et réfutations, la croissance du savoir scientifique (Payot, 1985) : « L’histoire de la science, à l’instar de celle de toutes les idées humaines, est faite de rêves irresponsables, d’obstination et d’erreurs. Mais la science est l’une des rares activités humaines – et sans doute la seule – où les erreurs soient systématiquement critiquées et, bien souvent, avec le temps rectifiées. C’est pourquoi, dans le domaine scientifique, nos erreurs sont fréquemment instructives, et c’est ce qui explique aussi qu’on puisse parler sans ambiguïté et de manière pertinente de progrès dans ce domaine. »

Les sources d’erreurs sont très nombreuses. Elles peuvent provenir du matériel, de l’observation, de l’étude statistique, mais elles peuvent aussi être conceptuelles, voire relever d’un mauvais raisonnement.

Le raisonnement d’une époque peut être considéré comme absurde à une autre. Ainsi, pour établir la loi de la gravitation universelle à la fin du XVIIe siècle, Newton étudie les travaux des alchimistes et des magiciens chez qui il puise notamment l’idée d’une action à distance. Il aboutit pourtant au bon résultat, même si une bonne partie de son approche paraît irrationnelle à nos yeux.

Les « anomalons », mauvaise découverte bien utile

De même, c’est en s’appuyant sur des considérations ésotériques et mystiques issues du mouvement romantique que plusieurs découvertes majeures sont réalisées au début du XIXsiècle, notamment en électricité, en particulier la découverte qu’un champ magnétique accompagne tout courant électrique.

L’histoire risque de se répéter et il est possible que les raisonnements actuels en physique des particules, qui s’appuient sur des notions esthétiques de symétrie, soient perçus comme absurdes par les physiciens des siècles à venir.

Il est assez tentant de considérer que les erreurs du passé n’appartiennent qu’au passé, mais il y a des leçons à en tirer. Ainsi, en 1903, un certain nombre de physiciens français, avec, à leur tête, le Nancéien René Blondlot (1849-1930), croient avoir découvert un nouveau type de rayonnement aux propriétés très étranges que l’on désigne par « rayons N ». Il s’agissait en fait d’une grossière erreur, les rayons N n’existent pas.

Mais l’histoire s’est quasiment répétée dans les années 1980 avec la « découverte » de noyaux atomiques très inhabituels que les physiciens ont baptisé « anomalons ». Ce n’est que quelques années plus tard, après de nombreuses publications dans des revues prestigieuses, qu’il a fallu se rendre à l’évidence que les anomalons n’ont aucune réalité. Malgré tout, les détecteurs mis au point pour déceler les anomalons se sont révélés très performants et ont été employés à d’autres fins. A quelque chose malheur est bon.

Plus récemment et avant la confirmation, en juillet 2012, de l’existence du fameux boson de Higgs, qui a fait la « une »  de tous les journaux, le discours des physiciens était déjà très positif à ce sujet. Si cette particule est détectée, disaient-il, cela validera la théorie et ce sera une victoire. Si la particule tant attendue, car prévue par la théorie, n’est pas mise en évidence, cela signifiera sans doute qu’il faut revoir la théorie et donc ouvrir un champ de recherche et découvrir de nouvelles choses, une situation tout à fait stimulante pour les chercheurs.

Comme on le voit, un résultat « négatif », un « échec », est en fait positif en ce sens qu’il apporte une information et réduit l’ignorance. De ce point de vue, c’est un succès. En somme, si je n’ai pas trouvé mes clés dans ma chambre, j’ai appris qu’il faut que je les cherche ailleurs. Avant cet « échec », je ne le savais pas.

Mal perçues et mal vécues par les scientifiques

Le physiologiste John Eccles (1903-1997) était convaincu – à tort – que la pensée est indépendante du cerveau. Durant des années, ses recherches relatives à la transmission nerveuse ont été sous l’influence de cette hypothèse erronée et n’ont abouti « à rien ».

Eccles rencontre alors Popper, qui le convainc que ce résultat est au contraire très positif, car cela signifie que la vérité à rechercher est ailleurs. Sachant cela, Eccles se remet au travail et aboutit à d’importantes découvertes relatives à la transmission synaptique pour lesquelles il se voit décerner le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1963. Eccles n’est pas tombé dans le piège du perseverare diabolicum

Malgré tout, l’erreur est en général mal perçue et mal vécue même si elle est nécessaire, et les scientifiques admettent difficilement qu’ils se sont trompés, craignant pour leur réputation et leur carrière.

En 2016, une étude menée auprès de 1 576 chercheurs par le très prestigieux magazine scientifique Nature a montré que la part des expériences non reproductibles par d’autres scientifiques que leurs auteurs est loin d’être négligeable. Or, qui dit non reproductible, dit vraisemblablement erreur…

L’intérêt de partager ses erreurs

Conscients de ce problème dans leur champ scientifique, celui de la psychologie, trois chercheurs (Tal Yarkoni, de l’université d’Austin, Texas, Christopher F. Chabris, du service de santé américain Geisinger Health System, et Julia Rohrer, de l’université de Leipzig) animent un projet international intitulé « Loss of Confidence » (perte de confiance). Lancé en 2016, il encourage les chercheurs qui ne croient plus en la validité de certains de leurs travaux à reconnaître et à publier cet état de fait, afin d’éviter que d’autres chercheurs gaspillent leur temps et leurs ressources à les reproduire.

Ce projet doit son essor au triste destin d’une étude de 2010 affirmant que si notre état mental influe inconsciemment sur notre posture, l’adoption consciente d’une posture influe sur notre état mental. Cette conclusion avait eu un très large écho auprès du grand public en 2012 après la conférence TED, intitulée « Votre langage corporel forge qui vous êtes », vue 48 millions de fois, de l’une des auteures de ces travaux, Amy Cuddy, de l’université Harvard. Mais en 2016, la seconde auteure, Dana Carney, a annoncé qu’au regard de nouvelles recherches elle ne croyait plus en la validité de cette étude, pourtant menée en toute bonne foi et dans les règles de l’art.

Cuddy y croit toujours, même si la non-reproductibilité de leur travail semble se confirmer. Compte tenu du nombre important de travaux non reproductibles publiés, nombreux sont ceux qui saluent l’initiative du projet « Loss of Confidence » comme un élément positif né de l’erreur et de l’autocritique scientifique, qui pourrait être très bénéfique au processus de la recherche. « L’erreur ne devient une faute que lorsqu’on ne veut pas en démordre », écrivait l’écrivain allemand Ernst Jünger (1895-1998).

Kamil Fadel est entré au Palais de la découverte en 1989 comme étudiant vacataire après une formation en biologie de l’évolution, puis en physique atomique et en histoire des sciences. Il dirige depuis 2001 l’unité de physique de l’établissement, Universcience. Il est aussi auteur de nombreux articles pour magazines et encyclopédies et a publié « Vous avez dit physique ? De la cuisine au salon, de la physique partout dans la maison ! » (Dunod, 2015), qui traite avec humour et de manière accessible des phénomènes physiques cachés dans les objets ou équipements ordinaires de la maison.

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