Suspendre les nouvelles adhésions jusqu'à la réforme de l'Union

Nul ne conteste les effets bénéfiques de la politique européenne d'élargissement sur les 21 Etats qui, depuis 1957, ont adhéré à l'Union, au rythme moyen d'un tous les 3 ans, avec une accélération à un tous les 19 mois de la première extension en 1973 à la dernière en date en 2007. Ils ont dû se conformer aux obligations européennes en matière d'Etat de droit, de démocratie et de respect des minorités, puis aux règles économiques contraignantes du marché unique et enfin accepter l'ensemble du droit européen qu'on appelle l'acquis communautaire. L'Union a accompli une œuvre de transformation d'Etats tout simplement extraordinaire et vraisemblablement sans équivalent.

Elle peut ainsi se targuer d'avoir contribué au retour à la démocratie de 180 millions de Grecs, Espagnols et Portugais, d'avoir permis à l'Autriche, la Finlande et la Suède de ne pas s'isoler dans une position de neutralité qui datait de la Guerre froide, d'avoir œuvré à la réunification du continent en accueillant en 2004 les pays d'Europe centrale et orientale. L'entrée de la Croatie est prévue pour le 1er juillet 2013 ; les négociations d'adhésion, entamées avec l'Islande, sont gelées avec la Turquie et la Macédoine ; le Monténégro et la Serbie ont été officiellement reconnus "candidats". Si elle tenait toutes ses promesses, l'Union européenne pourrait compter un jour 36 membres. Elle a, d'ores et déjà, quasiment triplé sa population et quadruplé son territoire.

Mais, après cette vague d'adhésions, l'Union ressemble davantage au grand marché que voulaient les Britanniques qu'à la véritable Union politique souhaitée par ses fondateurs. La politique d'élargissement a servi d'ersatz à une politique étrangère qui manque à l'Union, notamment à ses frontières. L'adhésion de nouveaux Etats membres a importé nombre de problématiques nouvelles, par exemple avec Chypre et la Turquie. L'Union n'a pas accru son influence sur la scène internationale.

De surcroît, le processus d'intégration interne a été freiné par l'élargissement. Nul n'ose plus évoquer désormais une fiscalité ou une défense communes, deux domaines de souveraineté par excellence qui conditionnent la relance de l'unification européenne. Il n'y a désormais plus de majorité parmi les 27 pour progresser en ces matières.

A cet égard, l'honnêteté conduit à constater que les premières adhésions ont plus affaibli l'Union que les suivantes. Ce sont le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark qui ont multiplié les opting out (exceptions) de l'Euro, de Schengen, de la politique de défense commune ; ce sont les Etats du Nord de l'Europe qui sont les plus rétifs à toute fiscalité commune.

La crise de la dette, quant à elle, a révélé les graves dysfonctionnements de la gouvernance institutionnelle et les divisions entre partenaires qui en ont été une cause majeure. Complexité des procédures, incapacité à décider et communiquer rapidement et clairement, absence de leadership, la région la plus riche du monde n'a pas offert une image d'efficacité face aux attaques et aux défis, mais a dévoilé au grand jour ses doutes et ses faiblesses. Il y a donc urgence à réformer ses institutions.

Une Commission de 27 membres (un jour de 36 ?), au sein de laquelle chaque Etat est représenté également, n'est pas conforme à la réalité d'une Union dont elle doit incarner les intérêts supérieurs. Un Conseil qui délibère derrière des portes closes ne peut assurer efficacement la mise en commun des intérêts des Etats. Un Parlement avec des distorsions de représentativité aussi fortes ne peut prendre en mains sans contestation la représentation des citoyens.

L'Union doit d'abord se penser face au monde et ne plus se concentrer exclusivement sur ses objectifs internes. Plusieurs de ses politiques sont mises en question. Concurrence, compétitivité, politiques monétaire, commerciale, agricole ou industrielle, d'aide au développement, doivent faire l'objet d'une revue sans concession, au regard des intérêts extérieurs communs. 62 ans après sa fondation, la construction européenne doit concentrer ses efforts sur la satisfaction de besoins "limités mais décisifs", comme le disait Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950. Il y a urgence ainsi, à relever les difficiles défis de la compétitivité et du chômage.

Poursuivre l'élargissement sans procéder préalablement à ces réformes, aurait vraisemblablement pour conséquence de diluer davantage l'unité européenne, d'en affaiblir un peu plus le soutien populaire et d'en gâcher les atouts.

C'est la raison pour laquelle, tout en leur offrant la perspective précise d'un partenariat économique et politique fort et durable, il faut avoir le courage de dire aux candidats actuels que nous conditionnons la poursuite du processus d'élargissement à la réforme préalable de l'Union.

Par Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman.

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