Syrie : heure de vérité pour la diplomatie du "niet !"

La Russie a obtenu à peu de frais la suspension du projet de frappes contre le régime de Damas. Elle continue à s'opposer à toute intervention armée, quels que soient les termes d'un accord obtenu avec Bachar Al-Assad concernant la destruction des stocks considérables d'armes chimiques.

Vladimir Poutine a ainsi gagné du temps et donné un nouveau répit à son allié syrien. Il a repris la main et exposé les fragilités et hésitations des pays occidentaux. Et il a regagné l'attention de Barack Obama, qui avait ostensiblement coupé le dialogue avec lui pendant l'été.

Mais le président russe a aussi dû mettre tout son poids dans la balance. Il s'engage personnellement dans la dure bataille diplomatique et stratégique à venir et pourra plus difficilement se cacher derrière un rempart de mensonges et de mauvaise foi. Il a d'ailleurs implicitement reconnu que Bachar Al-Assad avait bien fait usage d'armes chimiques, puisqu'il lui demande d'arrêter de les utiliser. Qu'est-ce qui motive ainsi le président russe à s'exposer autant dans un conflit qui aura inévitablement des conséquences négatives pour la Russie et ses voisins du Caucase et d'Asie centrale ?

Pendant deux ans et demi, Vladimir Poutine a dit "niet" ! Il a usé jusqu'à la corde le discours de la non-intervention, non-ingérence, sans aucun état d'âme. Car s'il y a un Etat qui intervient directement dans les affaires syriennes, c'est bien la Russie, qui n'a cessé d'armer et de conseiller les soldats de Bachar Al-Assad depuis des années.

L'ENGRENAGE DE LA VIOLENCE

Elle porte donc une responsabilité dans l'acharnement de ce dernier. Vladimir Poutine et son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, n'ont pas sérieusement tenté de contenir Damas dans l'engrenage de la violence et n'ont pas facilité les missions des médiateurs de l'ONU et de la Ligue arabe.

Ils ont misé sur la diplomatie de l'obstruction et sur l'indécision des pays occidentaux. Leur calcul était simple : s'ils s'alignaient sur la position occidentale, ils perdaient leur pouvoir de nuisance et devenaient un simple acteur parmi d'autres dans un processus multilatéral, comme en mars 2011 en Libye, quand ils ont perdu la main en s'abstenant sur la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU permettant des frappes aériennes contre le régime de Kadhafi.

Les dirigeants russes entretiennent aussi l'esprit de revanche sur l'Alliance atlantique depuis les frappes de l'OTAN contre la Serbie au printemps 1999, sans autorisation de l'ONU.

Devant la menace réelle de frappes en Syrie, Vladimir Poutine a pris peur. Il a toutes les raisons de vouloir éviter une intervention militaire menée par plusieurs pays occidentaux et arabes, car cette intervention le piégerait dans un soutien au dictateur, contre la communauté internationale.

Plus grave, les frappes provoqueraient inévitablement une riposte syrienne. Or, cette riposte impliquerait des armements et matériels livrés par la Russie et concernerait des conseillers et techniciens russes présents sur le terrain. Dans la Syrie en guerre, les deux ex-superpuissances de la guerre froide se trouveraient confrontées l'une à l'autre, situation que Soviétiques et Américains avaient toujours tenté d'éviter, selon la règle de "l'équilibre de la terreur" nucléaire.

Cette crainte russe d'un engrenage militaire donne à Washington, à Paris et aux pays de l'OTAN une réelle marge de manœuvre sur Moscou, qu'il serait dommage de sous-estimer.

La Russie ne peut pas se permettre de s'isoler plus encore, car elle met en danger le dialogue stratégique avec Washington. Pendant la décennie qui a suivi l'effondrement de l'URSS en 1991, la Russie de Boris Eltsine n'avait pas de politique étrangère digne de ce nom.

"GUERRE CONTRE LA TERREUR"

Le président russe a su saisir les grandes opportunités qui s'ouvraient à lui en 2001 grâce à la "guerre contre la terreur" lancée par Bush, qui a justifié la seconde guerre en Tchétchénie en l'amalgamant à la lutte contre Al-Qaida, et grâce à la croissance rapide des prix des hydrocarbures, qui faisait de la Russie une puissance énergétique.

Le président russe a même su refuser la guerre en Irak sans pour autant gêner la coalition anti-Saddam Hussein et en faisant payer au prix fort l'aide logistique de la Russie dans la guerre d'Afghanistan.

Ainsi, pour le Kremlin, la relation stratégique privilégiée avec Washington est un marqueur essentiel de la puissance russe. Poutine ne peut supporter longtemps l'indifférence ou les rebuffades d'Obama.

Une autre forte motivation du pouvoir russe est de ne pas renoncer à son influence dans ce qu'il voit comme "son Moyen-Orient", l'arc Iran-Syrie. C'est un enjeu de puissance globale et régionale, aux frontières de l'Asie centrale et du Caucase, où les Etats postsoviétiques restent dépendants de Moscou dans les domaines énergétique, économique et militaire.

La Russie veut avoir les coudées franches dans ce qu'elle nomme sa "sphère d'intérêts privilégiés". Elle s'inquiète des "révolutions de couleur", comme en Ukraine en 2004 ; elle limite la souveraineté des Etats, jusqu'à intervenir en Géorgie en août 2008 et occuper plusieurs parties de son territoire (faisant peu de cas de cette souveraineté nationale tant défendue en Syrie aujourd'hui).

Vladimir Poutine ne souhaite pas un dénouement rapide du conflit en Syrie, car il exerce sa puissance en se posant comme acteur incontournable et sait que l'après-Assad ne lui sera pas favorable.

Par ailleurs, en Russie même, son autorité est contestée. Il est confronté à un mécontentement social et à des oppositions déterminées, qui gagnent du terrain et accentuent la pression sur le régime. Le soutien du complexe militaro-industriel et des forces de l'ordre ne lui suffiront pas pour étouffer les revendications politiques.

Par Marie Mendras, Politologue au CNRS et au CERI-Sciences Po.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *