Syrie : la solution sera militaire

Les négociations de Genève ont échoué fin janvier car elles reposaient sur un malentendu : la préparation d’une transition excluant Bachar al-Assad pour les Américains, la légitimation du régime syrien pour Damas. Malgré cet échec sans appel, qui a aussi démontré la faible influence de Moscou sur Damas, la plupart des commentateurs persistent dans l’idée - ou plutôt le cliché - qu’«il n’y a pas de solution militaire» et qu’un processus diplomatique est la seule issue.

En fait, le bilan des négociations - le second round vient de reprendre lundi sous l’égide du médiateur de l’ONU - n’est pas nul, il est négatif. Dans les mois précédents celles-ci, Al-Assad a systématiquement éliminé les opposants pacifiques qui auraient pu servir de pont entre les belligérants. Excluant toute idée de transition, il prépare sa «réélection» pour pérenniser un pouvoir dont la survie dépend directement des dizaines de milliers de combattants étrangers venus d’Iran, d’Irak et du Liban. Confiant dans l’inertie occidentale, Al-Assad repousse aussi la destruction de ses armes chimiques, malgré l’accord imposé après les attaques au gaz contre des civils en août 2013. Par ailleurs, loin de représenter un rempart contre les groupes jihadistes radicaux comme l’affirme la propagande du régime, les liens avérés entre Damas et l’Etat islamique en Irak et au Levant, la branche irakienne d’Al-Qaeda (EIIL) confirment la stratégie, constante depuis le début de la crise, de ménager les plus radicaux pour délégitimer l’opposition.

Cette radicalisation croissante de Damas rend illusoire une solution négociée. Il faut, en conséquence, repenser la stratégie occidentale dans un contexte qui devient paradoxalement plus favorable. En effet, l’insurrection syrienne unie a entamé un combat frontal contre le groupe jihadiste le plus radical, l’EIIL. Des affrontements très brutaux opposent la branche irakienne d’Al-Qaeda aux insurgés syriens. En représailles, des attentats suicides ciblent systématiquement les chefs militaires et politiques de l’insurrection, menaçant les institutions civiles qui aident quotidiennement des millions de Syriens.

De plus, le régime de Damas n’a pas progressé de façon significative, alors même que les insurgés sont affaiblis par l’ouverture de ce deuxième front. Le recrutement devient un problème majeur pour l’armée syrienne, incapable de progresser au sol, ce qui explique le bombardement systématique des populations civiles (Alep) et le blocus qui affame les civils (Douma, Homs, Yarmouk). Loin d’une stabilisation des fronts ou d’une irrésistible avancée du régime, la violence des combats montre une situation incertaine où les insurgés ont le potentiel de renverser les positions du régime.

Or, le bilan de cette guerre est déjà atroce : 150 000 morts, des centaines de milliers de Syriens torturés par le régime, deux millions et demi de réfugiés et cinq millions de déplacés. L’Irak en guerre civile, le Liban sans gouvernement en proie aux attentats et le sud de la Turquie où les tensions s’accroissent entre sunnites et alévis.

Dans ce contexte, on ne peut que s’interroger sur l’attitude des pays occidentaux, qui continuent à soutenir un processus diplomatique manifestement contre-productif. Pourtant, c’est l’Europe qui subira de plein fouet les effets du conflit syrien. L’Europe, encore, devra accueillir des dizaines de milliers de réfugiés et payer des milliards d’euros pour les réfugiés en Irak, au Liban et en Jordanie. L’Europe, enfin, qui fait face au retour de milliers de jeunes musulmans européens partis se battre en Syrie, radicalisés par les images ultra-violentes d’une guerre à ses portes.

L’insurrection se bat sur deux fronts, elle a besoin d’une aide militaire et civile pour éliminer les jihadistes radicaux et protéger les populations civiles des bombardements. Le renversement du rapport de force militaire au profit de l’opposition armée est la seule sortie de crise possible. Une transition démocratique ne sera envisageable qu’à partir du moment où la probabilité d’une victoire de l’opposition amènera à l’éviction d’Al-Assad, de l’intérieur du régime, ouvrant la voie à un processus de réconciliation crédible.

Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Afghanistan et du monde turc.; Arthur Quesnay, Doctorant à Paris-I Panthéon-Sorbonne et Adam Baczko, Doctorant à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales (EHESS). Auteurs du rapport (pour la New America Foundation) Between Al-Qaeda and the Syrian Regime : A Path Out of the Current Crisis.

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