Syrie : le pacte avec le diable est nécessaire

Les euro-américains n’ont plus de projet vraisemblable contre l’État islamique et le dictateur assassin Bachar Al-Assad. Il ne leur reste qu’un discours hésitant dont on doute qu’ils puissent y croire : celui d’une transition démocratique à mettre en œuvre en Syrie, après éviction du clan Assad. En revanche, Vladimir Poutine a bien un plan contre l’État islamique, requérant par surcroît la participation de Bachar Al-Assad. Il semble en effet disposé à lancer, le 28 septembre à l’Assemblée générale de l’ONU, un appel au rassemblement général contre Daech, un rassemblement incluant le président syrien et son armée.

Chère aux Occidentaux, la recette verbale de la transition démocratique est une vieille histoire périmée, celle d’une formule transformée de nos jours en vœu pieux qui ne s’est appliquée qu’à l’occasion du retour de l’Espagne à la démocratie, après 1975, puis au retour dans leurs casernes des militaires latino-américains au cours des quinze années suivantes. Que signifiait alors le terme de « transition » ? Il désignait un passage de l’autoritarisme à un gouvernement à tout le moins prédémocratique opéré dans des conditions spécialement favorables, dans l’attente d’élections déclarées correctes par les censeurs des vieilles démocraties.

Vers la fin des « transitions démocratiques » ?

Une démocratisation sans grandes violences, sans revanche, sans vainqueurs ni vaincus au moins dans l’immédiat, reposant sur une négociation ouverte ou dissimulée assortie d’un accord de non-nuisance réciproque et d’impunité entre le personnel de l’ancien régime finissant et les représentants de l’ex-opposition démocratique en passe de les remplacer au pouvoir. Malheureusement, même si ces renaissances de la liberté reposèrent en fait sur des collusions impures des moins démocratiques, plus rien ne s’est déroulé comme cela depuis lors.

En particulier, toutes les tentatives menées plus tard à l’initiative des États-Unis ou, secondairement, de la France et de Grande-Bretagne en Afghanistan, en Irak, en Libye puis en Syrie ont non seulement échoué à instaurer des gouvernements stables, mais ont encore rendu plus scabreux le contexte de l’entrée de ces pays en démocratie. On a vu que l’usage de l’expression de transition démocratique ne suffisait pas pour qu’un tel processus prenne corps. Pour s’engager de façon quelque peu pacifique et ordonnée comme dans l’espace ibérique, celui-ci doit se fonder sur une certaine connivence entre les tenants de la liberté et les ex-dirigeants autoritaire pour la mise en place d’un régime provisoirement acceptable pour les deux parties. Tolérance pragmatique à l’évidence inimaginable dans la zone ici considérée. Il faudrait s’y faire, le déni de cette réalité blessante ne pouvant déboucher que sur le pire.

En clair, ne conviendrait-il pas d’envisager à présent des compromissions malsaines bien plus offensantes que celles des transitions démocratiques du dernier quart du vingtième siècle. Compromissions assurément « contraires à nos valeurs », mais ayant le mérite de pouvoir se révéler efficaces contre la menace supérieure à toute autre représentée par l’État islamique. Pour des raisons à la fois nationales et ironiques qui lui sont propres, Vladimir Poutine appelle dans cette perspective à intégrer Bachar Al-Assad et son armée dans une coalition formelle ou informelle les associant à la Russie et aux pays occidentaux. Cette option « scandaleuse » conforme aux intérêts russes ne le gêne pas. Par contre, convenons qu’elle reviendrait pour les euroaméricains à conclure une sorte de pacte avec le diable, y compris pour servir une bonne cause avec enfin quelque chance de l’emporter. Le dilemme n’est pas nouveau. C’est par exemple celui que l’anticommuniste déterminé qu’était Winston Churchill a surmonté en juin 1941, lors de l’agression nazie contre l’Union soviétique, lorsqu’il s’est agi pour lui de justifier devant la Chambre des Communes son appui à Staline. « Si Hitler envahissait l’Enfer, déclara-t-il, je dirais au moins un mot favorable au Diable ».

Guy Hermet, directeur de recherches émérite (CERI/Sciences Po Paris)

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