Syrie : l'inaction ou le choix du chaos

La compréhension des événements qui agitent la Syrie apparaît de plus en plus complexe à mesure que le temps passe. Quelle grille d'interprétation adopter ? Faut-il n'y voir qu'un soulèvement populaire face à un régime dictatorial ? S'agit-il d'une lutte d'influence régionale où s'affronteraient Iran, Turquie, Arabie-Saoudite, Qatar et Israël ? Doit-on y déceler la marque d'une reconfiguration des zones d'influence russes et américaines ? Est-ce finalement une guerre confessionnelle opposant chiites et alaouites aux sunnites, avec comme unique horizon une prise du pouvoir par des groupes extrémistes affiliés à Al-Qaïda ?
La difficulté de cette lecture inhibe la communauté internationale, pays occidentaux en tête, qui, du fait de son inertie, porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle.

Durant plus de huit mois, des manifestations pacifiques ont été systématiquement réprimées par le pouvoir de Bachar Al-Assad. Dix-mille personnes ont subi cette barbarie et sont mortes sans que la communauté internationale ne réagisse. C'est cette indifférence perçue qui a permis la militarisation de la révolte par le régime, sa communautarisation, puis sa radicalisation avec l'immixtion progressive de salafistes djihadistes. La passivité internationale a également autorisé chaque puissance intéressée au conflit de pousser son agenda national. D'un élan populaire guidé par le désir de liberté, la situation syrienne s'est muée en un bourbier potentiellement insoluble et certainement dangereux.

La complexité n'excuse pas l'inaction. Les conséquences de la prudence des pays occidentaux sont concrètes et vérifiables. L'intensité du conflit va grandissante et des centaines de milliers de morts, blessés, disparus, minent une population déjà gravement touchée par une crise humanitaire, effrayée face à l'usage d'armes chimiques, confrontée à la destruction méthodique de villes et de villages entiers et qui n'a d'autre choix que de venir grossir les rangs des réfugiés dans les pays voisins, en Turquie, en Jordanie et surtout au Liban.

L'extension géographique du conflit le transforme en un impératif politique car géostratégique. La déclaration publique du djihad en Syrie par le Hezbollah si elle rajoute à la complexité, interdit de se cacher derrière elle. Avec l'entrée officielle du bras armé de l'Iran dans les combats, c'est la nature régionale et religieuse de cette guerre qui se fait jour avec un front courant de l'Iran à la Méditerranée.

La bataille pour Qoussair, à la frontière libanaise, illustre parfaitement ce nouveau développement et laisse entrevoir sa gravité. La prise de cette ville ne garantirait pas la survie d'un régime qui ne saurait exister tel qu'il était, elle permettrait certes de relier Damas à la mer mais aussi et surtout d'instaurer une continuité géographique de la frontière libano-israélienne à la côte alaouite en passant par la région contrôlée par le Hezbollah au Liban.

C'est la question d'une zone d'influence iranienne en Méditerranée, et au contact d'Israël qui est posée, le clan Assad apparaissant de plus en plus clairement comme un vassal de l'Iran à l'instar du Hezbollah.

Cette nouvelle configuration laisse craindre un effacement des Etats tels que nous les connaissons au Proche et Moyen Orient, au premier rang desquels la Syrie et le Grand Liban. On est en droit de craindre la disparition de la diversité et de la richesse culturelle et religieuse régionale au profit d'une uniformatisation par l'extrémisme, d'une disparition des minorités, notamment chrétiennes, et d'un renforcement de l'influence iranienne et de ses velléités nucléaires. Les portes de l'Europe s'agitent et pourraient s'ouvrir sous la pression des extrémistes et l'intensification de la pression migratoire.

Outre l'impératif moral, l'urgence à agir est politique, sa traduction doit être pratique. Sur le plan de la défense, la levée de l'embargo militaire au profit des rebelles respectant les droits de l'homme et œuvrant pour la démocratie constitue un premier pas. Le contrôle de la distribution et de l'utilisation d'armes stratégiques – tels que des missiles sol-air – est bien maitrisé par les décideurs occidentaux ce qui invalide la crainte qu'elles ne tombent entre de mauvaises mains.

Politiquement, il est nécessaire de lever la condition d'unité de l'opposition. Peut-on raisonnablement exiger d'un peuple qui découvre sa liberté en la conquérant de se constituer en opposition structurée et unifiée, de construire un mouvement politique alors même qu'il lutte pour sa survie ? Une solution politique existe, elle oppose à l'émergence d'une dictature confessionnelle qui se substituerait à une dictature militaro-communautaire la construction d'un Etat démocratique, respectant et représentant les individus comme leurs communautés. Ce modèle existe, c'est celui du Liban. Malgré ses imperfections, sa fragilité, son inertie face aux tentatives de réforme et de modernisation, le modèle libanais a consacré l'équilibre et la modération comme piliers du vivre-ensemble. L'agressivité de l'Iran et du clan Assad à son égard peut en partie être expliquée par la pertinence de ce modèle pour la Syrie.

L'interventionnisme a un coût mais ce dernier sera toujours inférieur au coût de l'inaction. La passivité n'est pas un statu quo et la prétendue complexité n'est pas une excuse, ne rien faire c'est faire un choix, celui d'assumer le risque du chaos aux frontières de l'Europe, de favoriser les extrémismes tout en préparant le cadre de leur extension bientôt inéluctable.

Michel Moawad, président du Mouvement de l'Indépendance libanais et membre du directoire de la coalition souverainiste et démocratique du 14 mars, fils du président de la République libanaise assassiné en 1989, René Moawad.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *