Syrie: l’initiative russe nuance le débat et modère les appétits

La mise en scène de l’horreur et la diabolisation des adversaires sont les deux outils de la communication belliqueuse des islamistes et des occidentalistes (partisans de «l’Occident contre tous les autres» selon Jean-Pierre Chevènement) qui pointent les responsabilités de la Russie et de la Chine dans les violences syriennes. La rhétorique de la lutte entre le bien et le mal dispense d’une réflexion juridique et politique, en faisant fi du droit à la guerre (jus ad bellum), du droit dans la guerre (jus in bello), du droit après-guerre (jus post bellum). L’initiative russe et les nouvelles révélations de l’ONU viennent nuancer le débat sur la nécessité d’une attaque.

Après la dissolution du Pacte de Varsovie, les occidentalistes ont renforcé l’OTAN. Ses bases entourent la Russie au prétexte de contenir l’Iran. En 2003, année de l’attaque de l’Irak, George W. Bush a mis la conquête du «Grand Moyen-Orient» (du Maghreb à l’Afghanistan) à l’ordre du jour. Rebaptisé «Partenariat pour le progrès et un avenir commun», il sera amendé par le G8 et l’OTAN. Les «Révolutions arabes» sont la résultante de deux processus: des révoltes populaires et civiques d’une part, l’avancée des ambitions occidentale et islamiste, attisant les feux, d’autre part. La double offensive islamiste et occidentaliste place les autres (dont les Russes et les Chinois) sur la défensive. En 1971, Moscou et Damas ont signé un accord permettant à la flotte russe de stationner à Tartous, seule base navale qu’ils aient désormais à l’étranger. En 2011, l’intervention militaire en Libye a basculé de la «responsabilité de protéger» au renversement du régime, au grand dam des Russes et des Chinois, qui avaient initialement avalisé l’opération.

Pour qui veut bien élargir sa vision de la situation, il est notoire que des djihadistes ont, eux aussi, commis des exactions en Syrie et peut-être même utilisé des armes chimiques, selon Carla Del Ponte dans Horizons et Débats*. Il est loisible de disserter sur les bonnes et les mauvaises armes. Les Etats-Unis ont utilisé l’arme atomique au Japon, le napalm en Corée et au Vietnam, l’agent orange au Vietnam, du phosphore blanc et des bombes à fragmentation à Falloujah et les drones tueurs en Afghanistan, en toute impunité.

Les frappes à distance feraient des victimes civiles. Les Etats islamistes, qui arment des djihadistes syriens, poussent les Occidentaux à l’intervention musclée, escomptant profiter du chaos pour installer un régime ami.

Russes, Chinois, Iraniens réagiraient d’une manière ou d’une autre pour contenir la double avancée islamiste et occidentaliste. La «punition» invoquée par Obama et Hollande est davantage digne d’un surveillant d’une cour d’école que d’un chef d’Etat.

Ni les raisons invoquées du droit à la guerre, ni les conditions du droit de la guerre n’autorisent à condamner unilatéralement le régime syrien, les Russes et d’autres.

Le droit d’après-guerre est plus incertain encore. Les parrains des belligérants se disputeraient leurs zones d’influence au travers des protagonistes indigènes du conflit syrien. La «guerre par procuration» est une loi du genre. Ce qui semblait impossible hier autour d’une table de négociations serait plus improbable encore après des frappes occidentales, voire occidentalo-islamistes. Les dirigeants politiques et les commentateurs formatés seraient avisés de relire Max Weber. L’éthique de conviction ne saurait estomper l’éthique de responsabilité, qui consiste à anticiper les conséquences des décisions prises. Faire le contraire au nom de l’indignation témoigne au mieux de naïveté, au pire de cynisme pour dissimuler d’inavouables projets de conquête.

La seule question est de savoir si le partage du pouvoir et des zones d’influence se fera par la diplomatie ou par la guerre. Ceux qui privilégient la solution militaire font le pari d’un bénéfice plus grand pour un changement des rapports de force dans la région et dans le monde. Les habillages humanitaires sont poudre aux yeux.

Richard Labévière remarque justement que le drame syrien illustre la thèse d’Alain Joxe sur «les guerres de l’empire global» (du nom de son essai paru à La Découverte en 2012). Il s’agit de «promouvoir des démocraties corrompues et policières comme systèmes locaux de l’ordre financier néolibéral, quitte à s’accommoder avec des partis islamistes conservateurs, mais nullement hostiles aux avantages, pour les riches, de ces systèmes».

La diplomatie reste la seule voie raisonnable, pour la paix mondiale et pour le peuple syrien.

Gabriel Galice, vice-président de l’Institut international de recherches pour la paix à Genève.

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