La gestion des crises malienne et syrienne révèle l’incapacité chronique des Etats membres de l’Union européenne (UE) à assurer une gestion de crise commune.
En Syrie, le dérapage de la révolution démocratique en conflit armé puis en guerre civile s’est borné, côté européen, à la prise de sanctions certes nécessaires, mais dont on mesure aujourd’hui toute l’inefficacité. Les chancelleries européennes s’étaient pourtant engagées, avec le traité d’Amsterdam, à se donner les capacités nécessaires à «promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde».
Face à la situation au Mali, alors qu’un des Etats membres s’est impliqué militairement sur le terrain, le manque d’engagement de l’UE y est encore plus criant. Ni le putsch militaire, ni la coupure du Nord, ni l’attrition islamiste n’a provoqué de réaction consistante.
L’entrée en scène tardive et en toute urgence de troupes françaises, soutenues par de rares et maigres contributions d’autres Etats membres, permet de constater le manque de réactivité et de solidarité de l’Union européenne dans la gestion de crise. Pourtant, les enseignements des conflits passés (et non résolus) ne manquent pas. En Libye, la France et le Royaume-Uni - délaissés par leurs partenaires, au premier rang desquels l’Allemagne - n’ont pu réussir, malgré l’interopérabilité de leurs forces, à assurer une action commune sans appeler à l’aide la coordination états-unienne par l’entremise de l’Otan.
Pire, la dékadhafisation sauvage du pays par les clans armés, l’absence de Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) et de parrainage institutionnel d’une union politique nationale ont créé dans le pays les conditions d’une instabilité durable et provoqué le transfert de matériels militaires et de mercenaires sahéliens au Mali, y faisant chuter un Etat fragile.
La liste des conflits politiques et militaires dans l’environnement géopolitique qui ceinture l’Europe est longue, du conflit israélo-palestinien aux convulsions du Caucase du Nord en Ingouchie, Tchétchénie et Daguestan, en passant par le conflit gelé mais non résolu du Haut-Karabagh, la guérilla kurde en Turquie, l’instabilité chronique du Liban et de l’Irak ou encore la question du Sahara-Occidental.
Mais comment l’Europe pourrait faire dans le monde ce qu’elle n’arrive pas à faire chez elle ? Sur le continent même, la situation n’est en effet toujours pas réglée dans les Balkans occidentaux. Malgré la forte implication politique, judiciaire et sécuritaire de l’UE, les divisions communautaires subsistent en Bosnie-Herzégovine comme au Kosovo. Un semblant de stabilité y est assuré grâce au glacis européen, mais la coexistence pacifique imposée n’y a souvent intégré ni les esprits ni l’organisation des institutions.
L’Europe n’est pourtant ni faible ni démunie. Première puissance commerciale de la planète, elle est la première zone en termes de PIB et dispose d’une monnaie forte. Bloc démocratique puissant, elle possède des forces militaires modernes et efficaces disposant des capacités nécessaires au «peacemaking» inscrit dans les missions de Petersberg, ainsi que de la culture institutionnelle du «peacebuilding». L’UE pourrait donc ériger un espace de sécurité collective avec son voisinage au moyen d’une politique étrangère et de sécurité forte. Mais il faudrait pour cela dépasser les intérêts partitifs et les glorioles nationales, se projeter dans le monde de manière coordonnée, prospective et efficace. En pratique, il faudrait développer l’intégration des politiques étrangères au Service européen d’action extérieure (SEAE), renforcer le pouvoir décisionnel du Parlement européen sur celui du Conseil afin d’avoir une emprise démocratique accrue sur les décisions d’intervention politique et militaire, et avoir une politique de défense cohérente, que ce soit dans la constitution des bataillons européens comme dans les stratégies industrielles de l’armement.
Par peur du néocolonialisme, l’Europe rechigne le plus souvent à intervenir dans les crises qui ébranlent son voisinage. Elle y est pourtant très souvent attendue et pèche plus par son absence que par son ingérence. Voulons-nous nous donner les moyens collectifs d’étendre dans le monde l’aire de paix et de stabilité dont nous bénéficions en Europe, qui renforce à la fois nos partenariats, nos valeurs et notre sécurité, ou préférons-nous risquer un monde sans Europe par un isolationnisme contrit, interrompu de temps à autre, dans l’urgence, par un interventionnisme clivant ? Car c’est là que nous en sommes.
Par Julien Théron Politologue spécialisé en géopolitique des conflits, enseignant à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines