Syrie : Moscou comme puissance de médiation

La Russie a appelé la Syrie à placer son arsenal chimique sous contrôle international. L'initiative russe ne constitue pas en soi une réelle surprise. Elle dérive d'une idée initialement suggérée par Moscou et Téhéran, reprise à son compte par le Kremlin et discutée lors du G20 de Saint-Pétersbourg. L'idée intéresse de fait nombre de chancelleries préoccupées du risque de voir l'arsenal chimique syrien tomber aux mains des djihadistes présents en Syrie.

La mise en oeuvre éventuelle de cette proposition suscite d'ores et déjà de vifs débats. Mais les hésitations de Washington et Paris à propos d'une réponse militaire à l'attaque au gaz le 21 août, alimentées par la réticence de leurs partenaires, Parlements et opinions publiques, n'en ont pas moins créé une opportunité de taille pour la diplomatie russe.

Les Etats-Unis, tout en exprimant du scepticisme quant à l'initiative de Moscou, se sont empressés, par la voix de Barack Obama, qui a reporté le vote au Congrès, d'exprimer de l'intérêt pour ce développement "potentiellement positif".

ENRAYER UNE LOGIQUE MILITAIRE

La Russie reprend ainsi la main. Elle espère enrayer une logique militaire qui il y a une semaine semblait inéluctable. De ce point de vue, la pression militaire américano-française, malgré sa prudence, n'aura pas été inutile. Jusqu'alors, en effet, la Russie n'avait pas eu à s'inquiéter de la détermination sur le dossier syrien des Occidentaux, échaudés et fatigués par les engagements en Irak et en Afghanistan.

Cela lui avait permis de se contenter d'un investissement politique et militaire a minima dans sa posture d'obstruction au Conseil de sécurité de l'ONU, d'ailleurs approuvée plus ou moins discrètement par de nombreux Etats.

Que recherche le Kremlin à travers son initiative ? Il vise à éloigner la perspective d'une intervention militaire en Syrie sans mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, ce qui ipso facto affaiblirait la position russe. Le Kosovo et l'Irak hantent toujours les esprits des Russes, qui appréhendent ces deux opérations comme des symboles insupportables de l'absence de désir des Américains et des Européens de prendre en compte l'avis de la Russie.

A travers son initiative, Moscou entend donc ramener l'ONU au centre du jeu diplomatique, ce qui renforce de fait sa propre position en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Elle entend aussi redorer son blason en se posant en garant "sérieux" et responsable d'un enjeu crucial en matière de sécurité internationale – le contrôle sur les armes de destruction massive.

Moscou a joué depuis le début des années 2000 une partition du même ordre sur le dossier nucléaire iranien, au sujet duquel les Occidentaux reconnaissent que, en dépit de sa position particulière, la Russie a lutté contre la prolifération nucléaire. Moscou n'est d'ailleurs pas moins sensible que le reste de la communauté internationale au risque de récupération d'armes chimiques par des groupes islamistes.

Enfin, si M. Poutine a bien montré qu'il ne craint pas de se trouver dans une relation sous haute tension avec les Etats-Unis, la proposition sur les armes chimiques syriennes lui permet de faire baisser la pression d'un cran. La Russie escompte que, si son initiative contribue à ouvrir une nouvelle étape diplomatique sur la Syrie, son rôle dans la recherche internationale d'une résolution de la crise en sera renforcé.

PROPOSITIONS DE PARTENARIAT STRATÉGIQUE

Elle pourra de nouveau mettre en avant ses atouts particuliers comme puissance de médiation, atouts que sa posture d'obstruction sur la Syrie avait amenuisés en générant des tensions avec les capitales occidentales mais aussi en suscitant le mécontentement d'une bonne partie du monde arabe.

En tout état de cause, la Russie suppose que la nouvelle situation créée par son ouverture diplomatique sur les armes chimiques syriennes est a priori plus favorable à ses intérêts si le départ de Bachar Al-Assad devait s'avérer inévitable.

Au-delà, Vladimir Poutine espère que la nouvelle donne incitera les Occidentaux à considérer ses propositions de partenariat stratégique au nom des intérêts de sécurité communs – mais aussi au-delà des divergences politiques. Barack Obama et François Hollande ont signalé que ces divergences posaient de plus en plus de problèmes dans la construction des relations.

Ainsi, en soi, les propositions du Kremlin sur la Syrie reposent la question : jusqu'où aller dans la coopération avec une Russie qui conserve des atouts certains mais qui, n'hésitant pas à les surjouer de façon agressive pour mieux masquer les failles de sa puissance, veut que l'Occident la prenne telle qu'elle est et non telle qu'il la "rêve" ?

Par Isabelle Facon, Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique; maître de conférences à l'Ecole polytechnique.

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