Syrie : pour les acteurs locaux et régionaux, la paix est encore très loin

Un vent d’optimisme semble souffler sur le monde depuis l’adoption à l’unanimité par le conseil de sécurité de l’ONU, vendredi 18 décembre, d’une résolution soutenant un plan de paix en Syrie. Ce plan prévoit des pourparlers entre le gouvernement de Damas et les représentants de l’opposition syrienne dès janvier 2016 ainsi qu’un cessez-le-feu. Pour le moins distant, l’objectif énoncé consisterait en « un processus de transition politique », « ouvert, conduit par les Syriens » et « répondant aux aspirations légitimes du peuple ».

Certes, et le secrétaire d’État américain John Kerry l’a rappelé, il s’agit là d’un message fort adressé aux différentes parties du conflit et d’une avancée réelle sur le plan de la diplomatie, conférant rétroactivement le plus haut degré de reconnaissance internationale et de crédibilité juridique au processus de Vienne lancé en octobre dernier avec la constitution du Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG). En Syrie comme à travers tout le Moyen-Orient, cette accélération des discussions au sommet est accueillie avec l’espoir d’une gestion enfin plus efficace d’une guerre effroyable ayant déjà tué des centaines de milliers de civils et jeté sur les routes plusieurs autres millions.

S’il est compréhensible, voire apaisant, l’optimisme des derniers jours ne doit toutefois pas aveugler en omettant de souligner l’ampleur des obstacles qui se posent concrètement à la mise en œuvre pratique d’un tel plan de paix. L’exercice est difficile, il est vrai, tant la Syrie se voit plongée dans une conflagration aux ressorts et protagonistes si nombreux et opaques qu’ils en perdent aujourd’hui jusqu’à leur intelligibilité. Ainsi, à l’heure où des tractations russo-américaines s’esquissent plus sérieusement autour d’un règlement global de la « question syrienne » et d’une désescalade de la violence, l’élaboration d’un cadre multilatéral de pacification du pays doit emporter l’adhésion des acteurs locaux et de leurs appuis externes, ce qui est loin d’être acquis. En creux du discours de tous, ces derniers ne sont en effet que peu disposés à mettre réellement fin aux combats, et ne réalisent même pas l’intérêt que représente pour eux pareille démarche.

À maints égards, les termes du conflit n’ont guère évolué depuis le printemps 2011, le point d’achoppement premier de tout processus de paix et de transition concernant le sort réservé à Bachar Al-Assad. L’Occident et ses alliés ont bien tenté de persuader l’Iran et la Russie de l’impératif de « neutraliser » le dirigeant syrien comme prélude d’un règlement du conflit – y compris par la voie de la négociation avec d’autres personnalités et généraux du régime – mais leurs initiatives sont toutes demeurées vaines. L’expansion continue de l’organisation État islamique a pour sa part contraint Washington comme Moscou à tempérer leurs postures respectives et à considérer une variété de scénarios. Or, de nouveau, quelles que soient la « feuille de route » définie et l’entente potentielle des deux grands sur l’avenir d’Assad, il n’est pas dit, comme le veut la croyance commune, qu’ils puissent les imposer à un pays par ailleurs ravagé par une violence devenue norme.

Du côté de l’opposition politique et armée, principalement sunnite et très morcelée malgré la désignation récente à Riyad d’un coordinateur - Riad Hijab, ancien premier ministre ayant fait défection - supposé unifier ses rangs et la représenter lors d’éventuels pourparlers, on réclame toujours le départ d’Assad comme condition à toute forme de transition politique. Au-delà de leurs clivages, la majorité des forces présentes considère le président syrien comme l’élément clé du problème, le plus criminel, aucune « solution » n’étant possible sans son retrait. Les groupuscules djihadistes, à commencer par l’organisation État islamique qui n’a jamais inscrit sa lutte dans une perspective nationale syrienne mais bien panislamiste, rejettent l’idée d’un cessez-le-feu et les plus ouverts au dialogue, à défaut d’être « modérés », refuseront catégoriquement un compromis politique avec la capitale qui signifierait un tarissement de leur base populaire, pour ne pas dire un véritable suicide militaire. Quant à l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, sponsors extérieurs ne jouant pas tous avec les mêmes cartes, ces États restent fermes sur le principe d’une Syrie future débarrassée d’Assad, tout en percevant d’un mauvais œil la notion d’une période transitoire qu’il pourrait précisément manipuler pour se régénérer. En l’état, il est malaisé d’imaginer comment la communauté internationale peut influencer ces antagonismes profonds tant les enjeux du conflit en cours pour la Syrie mais également pour ses voisins sont grands.

Indiscutablement, Bachar Al-Assad a réussi à tirer un bénéfice stratégique du chaos qu’il a lui-même longtemps nourri pour se présenter, non seulement auprès d’une frange de sa population martyrisée, mais également auprès de certains détracteurs, comme un symbole d’ordre et de continuité, la dernière forme d’autorité rémanente en Syrie. Pour ses fidèles, « reconstituer » le régime se veut donc préférable à un plongeon plus vertigineux dans l’inconnu, quelles que soient les pertes humaines engagées. Les milices stipendiées par le régime sont parvenues à s’imposer dans toutes les zones placées sous leur tutelle. L’Iran et ses relais régionaux ne peuvent quant à eux se passer de la présence de Bachar Al-Assad pour la sauvegarde vitale de leurs intérêts, et il est probable qu’ils se battront jusqu’au dernier souffle pour sauver à la fois sa personne et les derniers lambeaux du « régime ». Outre offrir des garanties tangibles sur le terrain, cette option est la moins coûteuse et incertaine à leurs yeux. Dans ces conditions, la lutte à mort engagée de longue date entre Damas et ses adversaires désignés – mais aussi, et plus silencieusement, au sein de chaque camp – risque fort de durer.

Myriam Benraad, chercheuse à l’IREMAM et à la FRS, spécialiste du Moyen-Orient.

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