Syrie : pour une autre négociation

Malgré les efforts déployés, la négociation sur l'avenir de la Syrie n'a pas débouché sur les résultats attendus. Le moment est venu de changer de méthode. La négociation de l'accord de paix sur le Cambodge peut servir d'utile référence. Les parallèles sont en effet nombreux entre les deux tragédies : un peuple martyrisé par ses dirigeants ; une lourde implication des puissances régionales ; le jeu des grandes puissances. À l’époque, en 1989, la France avait obtenu la mise en place d'une structure de négociation à trois étages qui avait abouti à la signature de l'accord de Paris de 1991 et à l'organisation, par les Nations Unies, d'élections libres et démocratiques.

Transposés au drame syrien, les trois étages de la négociation seraient ainsi organisés : à la base, un dialogue entre Syriens, ceux représentant le pouvoir en place et ceux s'exprimant au nom de l'opposition. Par rapport aux discussions qui viennent de se tenir, deux changements majeurs sont nécessaires. D'abord, le dialogue à Genève devrait être continu et non pas épisodique. Pour lui donner toutes les chances d'aboutir, il devrait être piloté par une personnalité de haute stature morale telle que Kofi Annan qui réside à Genève et a été le premier représentant spécial s'exprimant au nom des Nations Unies et de la Ligue Arabe.

LE DIALOGUE DEVRAIT PORTER SUR L'AVENIR DU PAYS

Ensuite et surtout, au-delà des sujets immédiats tels que les cessez-le-feu locaux et l'acheminement de l'aide humanitaire, le dialogue entre représentants syriens devrait porter non pas sur les modalités de la transition mais sur l'avenir du pays. Il est indispensable de bâtir un consensus solide répondant aux questions essentielles : quelle République ? Quelles garanties constitutionnelles pour les minorités religieuses ou ethniques concernant leur association à l'exercice du pouvoir et leur place dans l'État, alors que les Sunnites représentent au moins 70 % de la population ? En d'autres termes, comment éviter une dérive à la Morsi à la suite de premières élections véritablement libres et démocratiques en Syrie ?

Bâtir un consensus sur ce sujet essentiel, c'est rendre plus aisée la transition : les différentes minorités, à commencer par les Alaouites, si leurs droit sont garantis, pourront plus facilement envisager un avenir sans Bachar al Assad et son clan.

Le deuxième étage de la négociation existe déjà plus ou moins : il doit prendre la forme d'une conférence internationale inclusive à laquelle participeraient tous les pays de la région, les grandes puissances, les pays intéressés et les organisations internationales. Son rôle serait d'enregistrer les progrès accomplis, mais aussi de traiter les questions humanitaires et économiques dans leur dimension régionale.

METTRE EN PLACE UN « P5+1 »

Enfin, le troisième étage serait celui de l'action des grandes puissances. Pour le Cambodge, il s'agissait des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité qui se réunissaient à intervalles réguliers et ont joué un rôle d'impulsion décisif. S'agissant de la Syrie, le format devrait être celui du « P5 +1 » ( les cinq Permanents et l'Allemagne), c’est-à-dire celui des négociateurs qui ont abouti à la signature de l'accord intérimaire sur le programme nucléaire iranien mis en œuvre depuis le 20 janvier et qui doit déboucher, en principe, sur un accord définitif dans les six mois.

Certains pourraient redouter les effets du lien implicite ainsi établi entre le programme nucléaire iranien et la tragédie syrienne. Mais ce lien existe déjà de facto : la Syrie est le champ clos où s'affrontent les puissances régionales désireuses d'affirmer leur leadership : l'Iran chiite engagé aux côtés de Bachar al Assad avec le soutien du gouvernement irakien et du Hezbollah, face à la Turquie et à l'Arabie saoudite sunnites, principaux soutiens des forces d'opposition. Il n'y aura pas de solution durable en Syrie sans la coopération de ces trois puissance régionales.

Seule une action déterminée des « P5 +1 » peut amener l'Arabie saoudite, l'Iran et la Turquie à s'engager dans ce dialogue incontournable et à faire pression sur leurs protégés en Syrie. S'ils n'y parvenaient pas, la tragédie syrienne se poursuivrait, transformant inexorablement le pays en « État failli » à la somalienne. De proche en proche, ce sont tous les Etats nés de l'accord Sykes-Picot de 1916, la Syrie, le Liban, l'Irak et la Jordanie, qui seraient menacés dans leur existence même. Comment imaginer dans un tel contexte que l'Iran puisse renoncer définitivement à son programme nucléaire militaire ?

Par Jean-David Levitte, ambassadeur de France et ancien conseiller diplomatique de Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy.

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