Syrie : renverser Al-Assad est la seule issue

La position morale clairement ambiguë de ceux qui refusent de prendre parti dans le conflit syrien est justifiée par l’absurdité de choisir entre deux diables : le régime criminel ou l’opposition islamiste. Ainsi apparaît en tout cas le dilemme erroné qui sévit dans le monde occidental et parmi les observateurs proches ou lointains de la situation syrienne. Pourquoi faudrait-il que le monde se tienne aux côtés du peuple syrien contre une dictature qui massacre son peuple ? Pour répondre à cette question, rappelons quelques réalités occultées dans la tourmente actuelle :

1) La révolution est restée pacifique pendant des mois avant de recourir à la résistance populaire armée face à la répression des forces et des services d’Al-Assad : tueries, arrestations, destruction de villes… alors que les manifestants réclamaient des réformes.

2) En jouant dès le départ la carte communautaire, le régime syrien a monté un scénario criminel attirant des salafistes sunnites contre des salafistes alaouites et chiites, en particulier avec l’engagement du Hezbollah libanais aux côtés des troupes d’Al-Assad dans la ville de Qousseir, provoquant une division dans la société.

3) L’extrémisme religieux qui a progressé dans l’opposition armée est la conséquence du désespoir profond des rebelles de voir le monde les abandonner. Il n’existait pas au début de la révolution et seul le régime syrien est responsable de ce développement. J’ai rencontré personnellement des dizaines de combattants extrémistes sur les lignes de front au nord de la Syrie. Parmi eux, d’anciens prisonniers, arrêtés pour leur participation aux combats en Irak avec Al-Qaeda, et relâchés à dessein par le régime syrien en avril 2011.

4) Les groupes armés extrémistes s’en prennent désormais aux populations dans les zones «libérées» et commettent des exactions. Ils sont une composante de l’opposition armée mais ne la représentent pas entièrement. On ne peut pas comparer les exactions commises par ces groupes à la guerre d’extermination menée contre un peuple désarmé face aux avions, canons, missiles et autres armes internationalement bannies, comme celles du massacre chimique de Ghouta le 21 août. Il est impossible de lutter contre ces groupes extrémistes tant que le régime d’Al-Assad est en place et tant que les pays du Golfe les soutiendront. Les brigades modérées, elles, ne reçoivent pas d’aide. Il est important de rappeler que l’opposition syrienne, dans sa diversité et sa complexité, n’a reçu des pays occidentaux et des Etats-Unis, qu’un soutien verbal et des promesses non tenues. Ces derniers ont observé passivement les forces d’Al-Assad commettre des massacres quotidiens qui se poursuivent encore jusqu’à aujourd’hui. Pendant que les civils continuent d’être bombardés, les débats et les controverses sur ce qu’il convient de faire face à l’extermination du peuple syrien vont bon train.

5) Le plus important est que ces groupes extrémistes, par manque de soutien populaire, n’ont pas trouvé leur place dans la révolution. De jeunes désespérés les ont rejoints face à un monde qui n’apporte pas d’aide à l’opposition civile. Les mouvements jihadistes ont ainsi pu se développer aux dépens des modérés tandis que le régime poursuit sa répression.

6) Les images de la résistance civile disparaissent dans les médias occidentaux au profit des seuls jihadistes alors que sur le terrain, la société agit en dépit de son manque de moyens. Je viens de passer plus d’un mois dans le nord de la Syrie auprès de groupes d’activistes dont personne ne parle dans les médias et qui ont besoin urgemment d’aide : ils doivent résister à la fois à la pression des extrémistes et aux attaques du régime d’Al-Assad.

Dans cette situation où notre seule issue est la chute définitive d’Al-Assad, nous sommes confrontés à une question morale essentielle : faut-il soutenir une frappe militaire contre notre pays ? Ou continuer d’avancer dans le long tunnel sanglant où sont engagés les Syriens ? Y a-t-il une volonté sérieuse du monde d’en finir avec Al-Assad ?

Pour moi, l’essentiel est de libérer les Syriens des crimes d’Al-Assad non en l’affaiblissant mais en le renversant. Ensuite, il est absolument nécessaire de soutenir la société civile et la résistance armée modérée tout en adressant un message clair et ferme à l’opposition politique - elle a si faiblement représenté la révolution - pour qu’elle s’apprête à offrir une alternative au régime.

La chose n’est pas simple. La peur légitime qu’une frappe militaire entraîne une intervention étrangère dans les affaires de notre pays ne doit pas nous faire oublier que ce sont déjà des étrangers qui se battent au côté d’Al-Assad, je veux parler des Iraniens et du Hezbollah. Mais rappelons qu’une frappe armée doit viser uniquement des objectifs militaires. S’il s’agit d’une opération limitée, comme c’est prévu, elle n’aura pas d’impact et pourrait même aggraver la situation, en renforçant les groupes jihadistes tout en exacerbant le conflit communautaire. Cette action militaire pourrait en outre provoquer une terrible vengeance des troupes d’Al-Assad contre les zones rebelles.

Mais ne pas frapper Al-Assad signifie, en définitive, lui donner un feu vert pour d’autres attaques chimiques, comme il l’a déjà fait plusieurs fois à petite échelle, notamment à Saraqeb [près d’Idlib dans le nord de la Syrie, ndlr] où j’ai constaté personnellement les preuves de leur utilisation. De forts sentiments contradictoires agitent tout Syrien estimant qu’une frappe militaire étrangère est le seul moyen d’émerger des rivières de sang dans lesquelles il nage. Mais le plus douloureux n’est-il pas cette plongée sans fin dans la mort d’un peuple révolté contre l’oppression d’un régime qui détruit hommes, pierres et arbres.

Oui, il est difficile de décrire ce sentiment ! Mais on ne peut s’empêcher de rêver à tout ce qui serait possible après la disparition d’Al-Assad de notre vie. Une survie d’Al-Assad et un silence immoral du monde envers ses massacres ne signifient pas seulement un basculement dans une guerre jihadiste communautaire, ils entraînent également l’incendie de toute la région. C’est pourquoi toute autre option qu’une chute totale et définitive de Bachar al-Assad ne fera que mener au chaos et entraîner le monde dans le gouffre de l’inhumanité.

Samar Yazbek, romancière syrienne.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *