Tam-tams en Afrique contre le paludisme et le sida

Par Esther Duflo, économiste et professeure au Massachusetts Institute of Technology (LIBERATION, 12/06/06):

Le paludisme frappe l'Afrique de plein fouet. Selon l'Organisation mondiale de la santé, entre 300 et 500 millions d'individus en sont affectés chaque année, et entre 1,5 et 2,7 millions en meurent. Plus de 80 % de ces décès ont lieu en Afrique. Les jeunes enfants et les femmes enceintes sont les plus vulnérables. La perspective d'un vaccin est encore lointaine, malgré les résultats récents encourageants. La prévention des infections doit donc passer par l'adoption de comportements préventifs.

Le vecteur du virus du paludisme est le moustique femelle, et l'une des méthodes de prévention efficace est la moustiquaire. Des essais cliniques réalisés sur le terrain dans plusieurs pays africains ont montré que l'utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide réduit en moyenne de 20 % le nombre d'infections (les moustiquaires non imprégnées sont bien moins efficaces). Jusqu'à récemment, une barrière importante à l'adoption de moustiquaires imprégnées était la nécessité d'un retraitement régulier (tous les six mois), un processus coûteux, désagréable et potentiellement toxique. La bonne nouvelle est que, depuis quelques années, des moustiquaires «permanentes» sont disponibles : l'insecticide est introduit dans la fibre même et ne disparaît pas à l'usage ou au lavage. La mauvaise nouvelle est que leur utilisation est encore très rare : seuls 15 % des enfants de moins de 5 ans en Afrique dorment sous une moustiquaire, et moins de 2 % d'entre eux sous une moustiquaire imprégnée.

Cela est en partie dû au prix : une moustiquaire imprégnée coûte six dollars, une somme considérable dans un pays comme le Kenya, par exemple, où le PIB par tête est de 312 dollars par an. Si l'importance de dormir sous une moustiquaire n'est donc pas en question, le débat fait rage sur la meilleure façon d'arriver à une généralisation de leur usage. Certains (dont Population Service International, une ONG américaine spécialisée dans le «marketing social» et un distributeur important des moustiquaires traitées) insistent sur l'importance de les vendre (à un prix subventionné) pour toucher plus de familles avec le même budget, et parce que le fait de payer pour la moustiquaire rendrait les familles plus conscientes de leur valeur. D'autres, comme le Center for Disease Control, notent que l'adoption de moustiquaires reste très faible quand celles-ci sont vendues, et soulignent le fait que les moustiquaires imprégnées sont d'autant plus efficaces que plus de gens les utilisent, puisque la maladie est infectieuse. La distribution massive de moustiquaires peut donc être traitée comme une mesure de santé publique, au même titre que la vaccination. Au Ghana et en Zambie, des distributions de masse couplées à des campagnes de vaccinations ont conduit à une augmentation phénoménale de l'usage des moustiquaires dans les zones pilotes (jusqu'à 80 %). Cet enthousiasme de la population suggère que la crainte des partisans des moustiquaires payantes que celles-ci ne soient pas utilisées si elles n'ont pas été achetées est sans doute exagérée : il semble que la moustiquaire soit un bien apprécié, même si les familles sous-estiment leur utilité en ne prenant pas en compte leurs bénéfices pour la collectivité. Il devrait donc être possible d'utiliser la distribution gratuite de moustiquaires pour encourager l'usage d'autres services de prévention insuffisamment utilisés. L'idée n'est pas nouvelle. Mais en offrant une moustiquaire contre l'obtention du service qu'on cherche à favoriser, la société fait d'une pierre deux coups (dans la mesure où les familles ne revendent pas leur moustiquaire). C'est l'idée qu'une ONG, TamTamAfrica, a eue pour lutter à la fois contre le paludisme et le sida. Un traitement court par la névirapine, un antirétroviral, peut réduire le risque de transmission entre une mère séropositive et son enfant de 50 à 30 %, au prix de 4 dollars par naissance. Encore faut-il que la mère soit au courant de sa séropositivité. Elle peut être testée lors de visites prénatales, mais peu de mères effectuent ces visites, en partie parce qu'elles craignent l'opprobre lié au test du VIH. En collaboration avec des centres de santé publics au Kenya, Tamtam Africa offre une moustiquaire imprégnée à toutes les mères lors de leur première visite prénatale ; cela leur donne une bonne raison de venir, éliminant le problème du regard des autres. L'initiative a conduit à une augmentation de 70 % du nombre de femmes effectuant au moins une de ces consultations. Lors de visites surprises, après plusieurs mois, auprès de ces femmes, 85 % des moustiquaires étaient installées dans la maison, et les femmes déclaraient dormir dessous avec leur bébé. Surtout, cette initiative a amené une hausse de 40 % du nombre de femmes choisissant (lors d'une visite) de passer un test VIH-sida, leur ouvrant la voie pour le traitement. Des moustiquaires pour lutter contre le sida. Il suffisait d'y penser !