Chez Quentin Tarantino, cinéaste de grand talent, la mort est souvent fort jolie: le sang bien rouge qui jaillit des corps transpercés par les balles arrose gracieusement de belles fleurs blanches. Reste le message passé dans ses deux derniers films, Inglourious Basterds et Django Unchained: les méchants sont très méchants et, contre eux, tous les coups sont permis. Tarantino remonte le cours de l’histoire pour transformer celui-ci à l’avantage des opprimés. Et les «gentils» ne lésinent pas sur les moyens: on torture et on scalpe dans Inglourious Basterds, avant de griller Hitler et compagnie dans une salle de cinéma; quant aux héros de Django Unchained, le chasseur de primes préfère visiblement morts que vifs les individus dont la tête est mise à prix, quitte à les tuer devant leur enfant ou à achever les blessés; et l’esclave libéré casse les genoux d’un «collabo» pour bien le faire souffrir en prélude à l’apothéose finale: l’explosion de la belle villa de l’horrible Sudiste, avec tous ses habitants, sous les applaudissements ravis de la belle esclave qui vient d’être sauvée.
Point n’est besoin de justifications quand on se bat contre Hitler. La réalité n’est d’ailleurs pas éloignée de la fiction: on ne s’est guère offusqué des viols massifs de femmes allemandes ou des innombrables civils morts sous les bombes des Alliés lors de la Seconde Guerre mondiale.
Dans Django Unchained, Tarantino prend la peine de démontrer que les Sudistes sont vraiment très méchants: ils organisent des paris sur des combats mortels entre esclaves ou lâchent leurs chiens voraces sur un récalcitrant. Choqué par ces abominations, le spectateur est prêt à justifier toute forme de violence de la part des opposants. Et il se rassure, si besoin est, en lisant le générique: aucun des chevaux qui tombent dans le film n’a été blessé!
Ces deux films ouvrent à Tarantino un juteux fonds de commerce: l’anéantissement jubilatoire des grands méchants de l’histoire. Après les thèmes du nazisme et de l’esclavagisme, pourquoi pas l’apartheid en Afrique du Sud, avec l’explosion de belles villas patriciennes et de leurs habitants racistes? Kadhafi battu à mort et Ceausescu sommairement exécuté ont certes coupé l’herbe sous le pied aux scénaristes mais il reste du pain sur la planche: Pol Pot, Pinochet, Staline et bien d’autres, qui pourraient tous finir brûlés, mutilés ou écartelés.
Bien sûr, c’est de la fiction et il ne s’agit pas de jouer les pères la vertu. Et puis l’on a vite fait de qualifier Django Unchained de «western spaghetti» pour faire comprendre aux grincheux de mon genre qu’il ne s’agit pas de le prendre au premier degré.
Oserai-je toutefois relever que tous les efforts entrepris pour développer le droit humanitaire depuis la signature de la 1re Convention de Genève en 1863 visent au respect pendant les guerres, si juste soit la cause défendue, de certains principes fondamentaux? Un autre film, consacré à la vie d’Abraham Lincoln, vient opportunément nous le rappeler.
C’est aussi l’esclavage qui fut au cœur de la guerre de Sécession mais le souci de Lincoln fut précisément de circonscrire les hostilités en préservant les civils et en protégeant les soldats capturés. Il avait compris qu’une violence sans bride ferait entrer son pays dans un cercle vicieux de haine, de peur et de violence qui contaminerait plusieurs générations et dont il aurait grand peine à s’extirper. Mû par cette conviction, il a mené la guerre de Sécession avec un souci constant de réconcilier et ressouder des Etats désunis: le code de conduite qu’il a imposé à ses forces armées est un modèle dont s’est largement inspiré le droit humanitaire.
L’histoire lui a donné mille fois raison sans pour autant que l’on en tire la leçon, comme l’ont tragiquement illustré les deux guerres mondiales ou, parmi bien d’autres, celles qui ont embrasé le Cambodge, les Balkans ou la région des Grands Lacs; et comme le démontrent de nos jours encore aussi bien le terrorisme que la tendance à justifier la torture, perceptible dans un autre film actuellement sur les écrans, consacré à la traque de Ben Laden, Zero Dark Thirty.
Il y a décidément, ces temps, bien des films qui méritent le détour. Et peut-être aussi, à la sortie, autour d’une bière, un peu de réflexion.
Yves Sandoz, professeur retraité de droit international humanitaire