Techniques de «banksters» et crise grecque

Avec l’actuelle crise financière grecque, l’acronyme «Pigs» circule avec plus de force à Wall Street pour désigner les quatre pays soupçonnés d’avoir minimisé l’ampleur de leur dette publique pour rejoindre, en janvier 2002, la zone euro : Pigs, pour Portugal, Italie, Grèce et Spain (ou Espagne). Le caractère péjoratif du jeu de mot en dit long sur l’appréciation négative des banquiers américains sur les pays du sud de l’Europe, et aussi sur les réponses apportées par le monde de la finance à ce nouveau scandale.

En effet, depuis les travaux académiques de Sykes et Matza, on sait que les fraudeurs ont tendance à limiter l’importance de leurs actes délinquants en les justifiant par une explication «rationnelle», le schéma psychologique étant «ce n’est pas ma faute, c’est à cause de…». Les réactions actuelles de Wall Street illustrent ce phénomène de neutralisation qui prend habituellement la forme de cinq explications différentes.

En premier lieu, le refus de la responsabilité est la technique de neutralisation la plus fréquente. Goldman Sachs, dans une présentation du 21 février 2010, a ainsi déclaré, à propos de son intervention sur les comptes grecs : «Ces transactions étaient respectueuses des principes d’Eurostat qui régissaient leur usage et leur application à l’époque.»

Une deuxième tactique consiste à critiquer les victimes. Ainsi, certains observateurs ont récemment déclaré que «Wall Street n’a pas créé la dette de la Grèce» en rajoutant «ce sont les gouvernements du sud de l’Europe qui ont choisi de vivre au-dessus de leurs moyens». Les Pigs devenant alors les principaux (pour ne pas dire les uniques) fraudeurs. La communication financière de Goldman Sachs utilise d’ailleurs presque toujours comme sujet de ces commentaires un seul acteur : la Grèce.

Un troisième moyen pour neutraliser le caractère frauduleux d’une escroquerie est de limiter la portée du préjudice. Goldman Sachs a ainsi publié un communiqué de presse concernant l’impact des opérations conclues en 2001 avec le gouvernement grec : «Ces transactions ont réduit la dette du pays de 2,367 milliards d’euros, bien qu’elles aient eu un impact minimal sur la situation fiscale du pays.»

Une quatrième méthode est d’accuser les accusateurs. Les personnes qui désapprouvent les actions des «banksters» de Wall Street risquent de se retrouver elles-mêmes sur la sellette. Il y a quelques années, le procureur Eliot Spitzer, après avoir attaqué l’establishment financier new-yorkais, devint alors sa bête noire.

Enfin, le dernier moyen pour neutraliser sa faute consiste à mettre en exergue l’existence de loyautés contradictoires à sa profession ou à ses clients. Goldman Sachs cherche ainsi à limiter l’importance de ses actes en montrant que la banque a en fait respecté les normes attendues de sa profession, même si elles sont en marge de la loi. On peut d’ailleurs utiliser une lapalissade pour s’exonérer de la moindre responsabilité en déclarant comme Goldman Sachs : «La Grèce, comme la plupart des autres pays européens, a utilisé le marché international de la dette pour faire face à ses besoins financiers.» Un banquier d’affaires impliqué dans une transaction de dissimulation de la dette souveraine d’un Etat pourrait justifier son action en montrant combien il a été loyal envers son client. Ainsi, les banquiers de Goldman Sachs peuvent présenter l’intelligence de leurs équipes pour aider un pays à faire face à ses engagements. L’ingéniosité financière n’a pas pour objectif de faire réaliser des gains importants, mais est portée par «l’altruisme» qui consiste à vouloir aider un pays dans le besoin. Grâce à Wall Street, les pays du sud de l’Europe ont été capables de joindre les deux bouts. Comme un chat qui retombe sur ses pieds après une longue chute, Goldman Sachs va certainement surmonter sans trop de difficultés ce nouveau scandale, il n’est pas certain que les «cochons» (Portugal, Italie, Grèce et Espagne) auront autant d’adresse.

Bertrand Venard, professeur à l’Audencia Nantes School of Management.