Téhéran, révolution 2.0

En 2009, une coalition s’est formée autour de Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, qui représentaient les éléments religieux modérés face à Mahmoud Ahmadinejad et à ses alliés au sein des Gardiens de la révolution islamique (IRGC) et de la milice islamiste bassidji.

Ahmadinejad était supposé l’emporter facilement mais, alors que la campagne électorale progressait, il devint évident, au bout d’un mois, que quelque chose était en train de se passer. Un jour après l’annonce du résultat de l’élection présidentielle donnant Ahmadinejad vainqueur, des centaines de milliers de personnes envahirent les rues de Téhéran pour protester. Le peuple voulait du changement.

La foule se mit à scander un slogan simple et percutant : «Où est mon vote ?» Au début, ni les autorités ni les manifestants ne prirent la mesure de ce qui était en train de devenir la «révolution verte». La foule semblait grisée, les forces de sécurité comme sidérées par le plus grand mouvement de contestation de ces trente dernières années. Une fois le choc passé, le gouvernement lâcha les Gardiens de la révolution, des unités de bassidjis et des forces paramilitaires en civil sur les manifestants. Des milliers d’entre eux furent tabassés, des centaines, arrêtés, et quelques-uns, tués par des snipers.

Le 18 juin, six jours après le vote, Ali Khamenei prononça un sermon qui annulait les revendications des protestataires et validait le résultat des élections. Alors que la mobilisation militaire allait bon train, une jeune étudiante de 26 ans, Neda Agha Soltan, qui regardait passer la manifestation dans une rue latérale, s’effondra sous les balles d’un bassidji. Son agonie, filmée en direct à l’aide d’un téléphone portable et postée sur Internet, circula dans le monde entier. Le visage ensanglanté de Neda devint le symbole de la révolution verte.

Téhéran, mégalopole chaotique assaillie d’un flot continu de voitures, n’est pas précisément propice aux mouvements de protestation. La géographie même de la ville représentait un défi au déploiement de la révolution verte. Les deux lieux les plus emblématiques de la capitale, la place Azadi et la place Enghelab, sont distantes de 5 kilomètres. A mi-chemin (2,5 km au nord d’Enghelab), se trouve l’université Sharif.

Dans un premier temps, les forces de sécurité se contentèrent d’empêcher les manifestations de s’étendre et de devenir incontrôlables. Elles se mirent à bloquer les rues, dresser des barricades, tirer en l’air, puis elles se jetèrent sur les manifestants avec leurs matraques, avant d’être rejointes par des unités à moto déferlant de tous côtés. Et ce, au beau milieu du mouvement incessant des simples passants allant et revenant du travail.

Au mois de juillet, pour le 10e anniversaire des émeutes étudiantes de 1999, il fut question de se rassembler sur la place Enghelab. Les gens commencèrent à affluer à l’intersection des avenues Vali-Asr et Enghelab. Malgré la faible présence des forces de sécurité sur le site, les gigantesques embouteillages de Téhéran dissuadèrent les manifestants, la police se contentait de les empêcher d’atteindre leur destination.

Rapidement, la place Enghelab fut bloquée, obligeant les gens à se diriger vers le Nord, en direction de Vali-Asr, la plus longue artère de Téhéran, qui forme un axe Nord-Sud d’un bout à l’autre de la ville. Une foule de 400 personnes scandait «Ya Hossein. Mir Hossein !», en référence à Moussavi, et «N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur ! Nous sommes tous unis !»

C’est alors qu’une unité de la police antiémeute, en uniformes noirs, casquée et armée de matraques, surgit de derrière les barricades de la rue Enghelab et chargea les manifestants. Plus au Nord, un autre groupe d’environ 400 personnes fut intercepté et forcé à se disperser dans les rues latérales. Dans le même temps, sur le pas de leurs portes, des citoyens ordinaires regardaient avec horreur le déroulement de la répression policière.

Dès que les forces de police se retiraient derrière leurs barricades, la foule se rassemblait à nouveau, rejointe par d’autres groupes. La plupart des universités étant fermées, il n’y avait pas de pénurie de protestataires.

Le gouvernement se fit alors plus répressif et le nombre de morts augmenta. Les leaders de la révolution verte durent faire face à un dilemme : demander des réformes ou continuer la révolution, alors même que leurs rangs s’éclaircissaient sous le coup des arrestations et des placements en détention. A la télévision, le gouvernement diffusa des procès de dissidents et des autocritiques forcées. Les prisonniers étaient torturés alors que, dans les rues, la répression cassait les manifestations.

En février 2011, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi furent placés en résidence surveillée, où ils sont encore, malgré l’absence de procès.

Le mouvement de protestation iranien s’est alors déplacé sur Internet et sur les réseaux sociaux, où le rapport de force est plus équilibré. Internet est réellement devenu le nouveau théâtre des opérations de la contestation politique iranienne. La campagne «Liberté furtive», où des femmes diffusent des selfies d’elles sans le voile, en est le dernier exemple. Sur Internet, pas de bassidjis armés de matraques…

La lutte qui s’est déplacée sur les réseaux sociaux n’est pas moins féroce. Comme dans les rues de Téhéran, le régime pratique la censure et bloque l’accès aux sites qu’il juge inappropriés. Facebook, Twitter, YouTube et bien d’autres sont interdits. En riposte, les manifestants utilisent le système VPN antifiltrage ou les réseaux privés virtuels afin de contourner les manœuvres des censeurs. Et peu importent les dernières déclarations du président Hassan Rohani sur l’ouverture à Internet : a-t-il seulement les moyens de la mener à bien ?

Les manifestations se poursuivent donc en ligne. La Toile est devenue la grande artère de la protestation politique iranienne.

Masih Alinejad, journaliste et écrivaine. Traduit de l’anglais par Florence Illouz.

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