Téléchargement d’œuvres protégées: non à une criminalisation de l’internaute

On veut absolument mettre tous les maux du téléchargement illégal sur les épaules de l’internaute. Or, celui-ci, face à l’immensité de la toile qu’est le Web, est souvent bien seul devant son écran. A l’heure où Internet permet de tout trouver, il est difficile de demander à un consommateur suisse d’attendre plusieurs mois, voire des années, pour avoir accès à certains films ou séries, avant de pouvoir acquérir en toute légalité l’œuvre protégée par le droit d’auteur.

En matière de séries notamment, l’offre en Suisse, et en particulier en Suisse romande, est quasi nulle. Prenons l’exemple de la plateforme iTunes, développée par la marque à la pomme: alors que la page française permet d’acheter ou de louer tout un nombre de séries, celle correspondante en Suisse n’existe même pas.

Offre légale insuffisante

Netflix est utilisable indifféremment dans différents pays si l’on a un abonnement. Mais les droits n’étant pas les mêmes d’un pays à l’autre, il peut arriver que l’on commence une série en vacances à l’étranger, mais que lorsque l’on rentre en Suisse, on ne puisse plus voir la fin, car en Suisse, ce site n’a pas les mêmes droits.

Il est donc difficile de sermonner les consommateurs suisses avec de telles barrières. C’est à l’industrie du cinéma et de la télévision d’accélérer les processus et de développer, d’introduire dans notre pays une offre légale suffisante pour que l’on ne puisse pas reprocher à l’internaute lambda de se retourner vers des offres illégales.

Des critères flous

Mais quand on parle d’offre illégale, de quoi parle-t-on? Il est en effet peu évident pour vous et moi de savoir ce qui est légal en matière de droit d’auteur de ce qui ne l’est pas. On ne peut notamment pas partir de la prémisse que si l’on paie un abonnement, tout cela est légal. Il y a aussi des contenus qui sont légaux et qui sont gratuits. Bref, le critère du paiement n’est pas un indicateur pour connaître la légalité du site.

Ce qui est clairement interdit actuellement, ce sont les sites pair à pair, soit ceux où l’on peut mettre à disposition des films, où l’on peut partager des contenus en donnant accès à son disque dur à des tiers. Mais si l’on ne s’y connaît pas vraiment, il n’y a aucune lumière qui clignote lorsque vous vous rendez sur ces sites de partage.

Liste noire

Il est toutefois vrai que si l’on voit le terme «torrent» ou «bit» dans la dénomination du site, un petit signal devrait s’allumer dans votre tête. A mon avis, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle devrait mettre à disposition une liste noire des sites proposant des œuvres provenant de sources illégales.

Aujourd’hui, il n’y a pas de liste officielle et donc pas de moyens pour l’internaute «traditionnel» de s’informer de manière neutre. Reste que l’on ne peut cautionner les cas extrêmes, comme celui qui met à disposition toute sa vidéothèque et qui télécharge 5000 films en deux jours. Les hébergeurs de sites ont eux aussi une responsabilité, car ils disposent de connaissances suffisantes pour vérifier la légalité d’une offre sur le net.

Chiffres impossibles à vérifier

Quant aux chiffres avancés par l’industrie helvétique du film concernant les millions qui seraient perdus en raison du piratage, ils sont impossibles à vérifier.

On peut également voir les choses par l’autre bout de la lorgnette: un auteur a aujourd’hui accès à un espace immense permettant de diffuser son œuvre sans limitation, ce qui n’était pas le cas avant l’ère d’Internet.

L’internaute au milieu de cette jungle ne peut être tenu pour responsable de la complexité d’un système de diffusion dû à une kyrielle d’intermédiaires divers et variés qui ne permettent que lentement aux œuvres protégées d’arriver sur le marché suisse.

Florence Bettschart-Narbel, responsable Politique & Droit FRC, Avocate, membre du groupe de travail AGUR12 relatif à la révision de la loi sur le droit d’auteur, membre de la Commission de la concurrence.

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