Terrorisme : « Le dénigrement systématique de la Belgique » est infondé !

Les attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars ont rapidement mené les médias internationaux à enclencher une vague de critiques acerbes à l’encontre des autorités belges. Comment Salah Abdeslam a-t-il pu rester « sous le radar » de la police fédérale pendant autant de temps ? L’architecture institutionnelle compliquée du plat pays explique-t-elle l’incompétence de ses services de renseignement ? Est-ce le laxisme politique ambiant qui a permis la transformation de la capitale de l’Europe en plaque tournante du djihadisme international ?

La liste des reproches est longue. Face à ces réactions à chaud, une prise d’altitude semble nécessaire. Il faut plus que jamais recadrer le phénomène des combattants étrangers dans sa dimension transversale et accentuer la recherche sur les véritables causes de la radicalisation.

Il est important de rappeler que la Belgique a été confrontée à diverses manifestations du terrorisme depuis plus de quarante-cinq ans et a donc développé une expertise objective en la matière. Les années 1970 et 1980 ont été marquées par de très nombreux attentats essentiellement revendiqués par des organisations d’extrême gauche, dont les Cellules communistes combattantes (CCC).

Le rôle exponentiel joué par les réseaux sociaux

A partir de la moitié des années 1980, une menace a commencé à se profiler du côté de l’islam politique, avant de se matérialiser à travers des mouvements islamo-nationalistes du type Groupe islamique armé (GIA). Ce n’est qu’à la fin des années 1990 que les réseaux d’Al-Qaida ont fait l’objet d’un nombre croissant d’opérations antiterroristes. L’année 2012 a enfin signé l’émergence de l’organisation Etat islamique comme nouvelle menace principale, dans un contexte où le nombre de candidats au djihad syrien s’est décuplé.

En mai 2014, la Belgique connut sur son sol le premier attentat commis par un combattant de retour du djihad, l’attaque de Musée juif de Bruxelles par Mehdi Nemmouche. Au vu de cet historique, il serait donc erroné et déplacé de penser les autorités belges « naïves » ou incompétentes en 2016. Ceci étant dit, des erreurs humaines ont certainement été commises dans le cadre des enquêtes et le pays souffre d’un manque de ressources – surtout humaines – qu’il est important de signaler.

Le dénigrement systématique de la Belgique a eu tendance à faire oublier que les combattants étrangers relèvent d’un phénomène global. Ce type de dynamique migratoire, associée à la violence politique, a en fait toujours existé et existera malheureusement toujours. Le véritable challenge auquel sont confrontées les forces spéciales nationales des Etats concernés réside dans la magnitude sans précédent que ce phénomène a pris dans le contexte du « feu arabe » qui consume actuellement la Syrie et l’Irak.

Ce développement fulgurant est sans doute largement attribuable au rôle exponentiel joué par les réseaux sociaux dans la diffusion de l’information ces dernières années. Les « printemps arabes » ont montré à quel point ces redoutables outils étaient susceptibles d’accélérer toutes sortes de processus sociaux.

Aucune panacée

Si la Belgique a en effet fourni le contingent de combattants étrangers le plus important proportionnellement à l’échelle de l’Union européenne, force est de constater que des situations de même nature et tout aussi alarmantes ont pu apparaître dans des sociétés pourtant très différentes : Angleterre, France, Russie, Tunisie, Arabie saoudite, etc.

Aucun de ces acteurs, aussi puissant ou influent soit-il, ne dispose de la panacée face au problème de la radicalisation qui caractériserait ces mercenaires. Les efforts de la communauté internationale se focalisent militairement sur certains des symptômes de ce mal – l’organisation Etat islamique en est un –, car elle a énormément de mal à assécher ses racines. Et pour cause, les radicalisations sont des dynamiques extrêmement complexes dans le cadre desquelles interviennent de nombreux facteurs de risque qui s’interpénètrent.

Aucun facteur pris isolément ne permet d’expliquer le basculement d’un individu dans l’action violente. Les très nombreuses personnes écœurées par une pénultième campagne de bombardements « occidentale » dans le monde en développement n’ont pas toutes réagi en prenant personnellement les armes en Irak.

De la même manière, seule une infime fraction des jeunes ayant été exposés à de la propagande djihadiste en ligne a soudainement opté pour le « mode de vie salafi » et rallié les rangs de l’organisation Etat islamique.

Attentats suicides durant la guerre civile libanaise

Enfin, il ne suffit pas d’être né et d’avoir grandi dans un quartier défavorisé de Molenbeek pour déclarer le djihad à l’Occident ; Bruxelles serait à feu et à sang au quotidien depuis des décennies si c’était le cas. De manière beaucoup plus subtile, les différents facteurs de risque (politique, religieux, socio-économique, etc.) « parlent » différemment à chaque individu, en fonction de la manière dont sa vision du monde extérieur a été modelée psychologiquement et émotionnellement durant les premières années de sa vie. Ceux-ci se modulent en plus de manière kaléidoscopique, ce qui explique les trajectoires très diverses des individus concernés.

L’attention générale se porte exclusivement vers la menace islamiste dans le contexte contemporain, oubliant que les attentats suicides ont été pratiqués par tous les camps belligérants – musulmans, chrétiens et athées communistes – durant la guerre civile libanaise (1975-1990) qui a initié la notoriété de ce type d’attaque.

Le facteur psychologique, en attendant, est dangereusement sous-analysé. Il est certes difficile de proposer des recommandations pragmatiques en lien avec celui-ci à ce stade-ci. En guise de premier pas, nos efforts collectifs pourraient cibler une meilleure compréhension du phénomène de plus en plus interpellant des fratries (Tsarnaev, Kouachi, Abdeslam, El-Bakraoui, etc.) qui franchissent ensemble le seuil de l’action terroriste et qui suggèrent que certaines pièces du puzzle sont enfouies au sein de la cellule familiale.

Didier Leroy (Chercheur à l’Ecole royale militaire de Belgique et professeur assistant à l’Université libre de Bruxelles)

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