Thaïlande : la machine à écraser les droits humains du général Prayuth

Lorsque le 18 juin, la Thaïlande a procédé à sa première exécution après un moratoire de neuf ans, les réactions internationales varièrent de la consternation silencieuse aux envolées scandalisées. Mais le général Prayuth Chan-ocha, leader versatile du «Conseil national pour la paix et l’ordre» (NCPO), appellation officielle de la junte militaire qui renversa en mai 2014 le premier gouvernement élu du pays, resta de marbre. Prayuth affirma que la peine de mort était «une nécessité», et qu’elle existait pour «garantir la paix nationale et donner des leçons».

Voici les mots de l’homme à qui le président Emmanuel Macron déroulera le tapis rouge au Palais de l’Elysée lundi. Un homme dont les actions des quatre dernières années ont transformé le pays en Etat voyou, ignorant systématiquement aussi bien ses obligations internationales en matière de droits humains que ses propres engagements. Comme celui d’envisager de supprimer la peine de mort.

La machine à écraser les droits humains du général Prayuth a une longue liste de forfaits à son actif. Sous sa supervision, les institutions démocratiques du pays ont été complètement sabordées. Un Parlement aux ordres, composé d’officiers de police et de militaires, s’occupe de voter des lois sans débat préalable, opposition, ou contre-pouvoirs. Pendant qu’un comité nommé par la junte s’est occupé de préparer et adopter une Constitution qui garantira aux militaires d’interférer dans la vie politique thaïlandaise pendant encore de très nombreuses années.

Les droits de réunion et de liberté d’expression ont été sévèrement restreints. Dans sa quête obsessionnelle de «paix», la junte a pratiquement interdit toute forme de dissidence. La NCPO a promulgué et mis en œuvre une série de décrets répressifs bannissant toute critique à son encontre, et interdisant tout rassemblement public de plus de quatre personnes. Les médias s’étant permis de critiquer la junte ont été suspendus. Les activistes qui ont osé défier l’interdiction de rassemblement public pour pouvoir manifester pacifiquement contre la chape de plomb imposé par les militaires sont régulièrement traînés devant les tribunaux, parfois sous l’accusation redoutable de «sédition». Enfin, la junte a interdit aux partis politiques d’organiser tout meeting ou activités. Cette disposition est non seulement contraire au droit international, mais s’avère également incompatible avec la promesse d’organiser des élections libres et équitables dans un futur proche.

Mais la junte n’est pas la seule institution à ne plus pouvoir être critiquée. Le draconien article 112 du code criminel punit à une lourde peine de prison quiconque se livrerait au «crime de lèse-majesté» : critiquer la monarchie. Les Nations unies ont eu beau répéter que cet article s’opposait aux standards internationaux, la junte a préféré renforcer de manière agressive cette disposition, au prétexte de protéger «l’institution la plus sacrée du pays». Alors que six personnes croupissaient en prison lors du coup d’Etat pour de telles charges, les autorités ont désormais arrêté plus de 120 personnes sur la base de l’article 112. Et au moins cinquante d’entre elles ont été condamnées à des peines allant jusqu’à… trente-cinq années de prison.

Sous la junte, le nombre de détenus bat des records avec 361 000 prisonniers, soit 22% de plus que lors du coup d’Etat de 2014. Alors que la population thaïlandaise équivaut grosso modo à la population française, cinq fois plus de personnes y sont emprisonnées, soit un des taux d’incarcération les plus élevés au monde. Et dans les prisons surpeuplées, les conditions de vie sont devenues épouvantables.

Autrefois havre d’accueil pour les réfugiés de la région, la Thaïlande de Prayuth renvoie désormais les demandeurs d’asile dans leurs pays d’origine, où certains sont de nouveau persécutés. Ces renvois sont en violation flagrante du droit des réfugiés à obtenir une protection.

Finalement, Prayuth a sabordé la réputation de la Thaïlande, pays pourtant traditionnellement si soucieux de son image à l’international. Sous sa botte, le pays a régressé aux dernières places de tous les indicateurs internationaux permettant de mesurer le respect des droits humains et des principes démocratiques.

Et c’est précisément parce que le régime reste soucieux de son image que le président Macron doit saisir cette opportunité pour faire part publiquement des préoccupations de la France pour les graves violations perpétrées en Thaïlande, et pousser Prayuth à accepter le retour à un régime démocratique et civil dès que possible.

Le président Macron haussera-t-il le ton ? Ou préférera-t-il prendre mollement acte du terrible tour de vis dictatorial pris par la Thaïlande ?

Dimitris Christopoulos, président de la FIDH.

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