Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires: soigner le malade?

Les Etats parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) se réunissent actuellement à New York avec de nombreux objectifs visant à renforcer et faire mieux appliquer le traité. Il serait prétentieux pour un Etat membre de bouder cette réunion et peu raisonnable d’abandonner une embarcation, même si elle prend l’eau, sans en avoir une plus solide à proposer. Mais cette réunion est une occasion d’une part de se plaindre de son application boiteuse, d’autre part de relever qu’il n’est plus une bonne base pour discuter de la question nucléaire, et cela pour au moins cinq raisons.

Premièrement, l’idée de contenir la prolifération des armes nucléaires ne peut être sérieusement envisagée qu’avec un petit nombre de puissances nucléaires, et si toutes y adhèrent. Le fait qu’on ait laissé sans réaction sérieuse l’Inde, le Pakistan et Israël se doter de l’arme nucléaire en restant à l’écart du traité et que l’on n’ait pas pu empêcher la Corée du Nord de faire de même après s’être retirée de celui-ci a fait perdre sa crédibilité au TNP quant aux garanties qu’il prétend donner aux Etats non dotés d’armes nucléaires.

Deuxièmement, le TNP a la tare originelle de mettre à mal le principe de l’égalité souveraine des Etats et si l’on pouvait admettre que c’était un moindre mal face au risque de prolifération à l’époque où le traité fut adopté, en pleine Guerre froide, c’est beaucoup moins justifiable aujour­d’hui. Les Etats non dotés de l’arme nucléaire parties au traité peuvent aujourd’hui se sentir victimes d’une double discrimination puisque, en sus de celle qui est inhérente au traité, il en existe aussi une entre eux et les Etats qui ne le sont pas. La négociation très serrée engagée aujourd’hui avec l’Iran dans le cadre du traité sans que l’idée d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient puisse voir le jour, notamment du fait du blocage d’Israël, en est une claire démonstration.

Troisièmement, si la «dissuasion nucléaire» a pu jouer un rôle à l’époque de la Guerre froide – l’on prétend souvent, peut-être avec raison, qu’elle a permis d’éviter un affrontement direct entre les deux superpuissances de l’époque, les Etats-Unis et l’URSS –, cette époque est révolue. L’Inde ou le Pakistan, en confrontation presque ininterrompue, se permettraient-ils d’entrer dans une escalade nucléaire désastreuse pour l’une comme pour l’autre, sans parler de leurs voisins, en réponse à l’utilisation de la force armée conventionnelle par l’un d’entre eux? Et quel scénario farfelu ne faut-il pas imaginer aujourd’hui pour donner une once de crédibilité à la dissuasion française ou britannique? Dans un essai remarquable paru il y a déjà plus de quarante ans, Franco Fornari avait comparé les Etats qui prétendent s’enfermer dans leur souveraineté nationale en se dotant individuellement d’un arsenal nucléaire face à la menace globale que représentent ces armes à un toxicomane qui «ressent la privation de la drogue comme l’impossibilité de se défendre contre le mal que la drogue elle-même a engendré».

Quatrièmement, en laissant la porte ouverte à une utilisation licite des armes nucléaires, on affaiblit l’interdiction des autres armes dites «de destruction massive», soit les armes biologiques et les armes chimiques. L’utilisation de celles-ci est au­jourd’hui totalement prohibée, par des traités et par le droit international coutumier. Mais il est clair que l’ambiguïté qui subsiste autour de l’arme nucléaire nuit à cette interdiction absolue, qui aurait du mal à résister à l’utilisation d’armes nucléaires contre un Etat non doté de telles armes, l’arme biologique devenant alors pour celui-ci, selon une formule déjà utilisée, «l’arme nucléaire du pauvre». Une telle escalade mettrait en danger la planète entière et il n’y a pas d’autre solution raisonnable qu’une interdiction absolue de l’ensemble des armes de destruction massive. Or seul un engagement déterminé des grandes puissances nucléaires pourrait entraîner une mise hors la loi claire et absolue de l’usage des armes nucléaires. Des mouvements se développent en ce sens dans et hors des pays concernés mais les puissances nucléaires membres du TNP continuent de s’accrocher au privilège que leur confère celui-ci, «oubliant» par ailleurs que le traité contient aussi un article leur enjoignant d’entreprendre des négociations efficaces en vue du désarmement nucléaire.

Enfin, une cinquième raison milite contre le TNP. Le «marché» sur lequel repose le traité, signé à une époque où l’on était moins sensible qu’aujourd’hui au problème général de l’énergie nucléaire, est un engagement des Etats dotés d’armes nucléaires d’aider les Etats qui y renoncent à développer la production d’énergie nucléaire à des fins civiles. Il prévoit aussi une coopération de l’ensemble des Etats parties en vue de la promotion de cette énergie. Or cet aspect du traité est en claire contradiction avec les politiques de sortie du nucléaire, qui n’ont de sens que si elles sont largement partagées: c’est bien la multiplication des centrales et des déchets nucléaires qui entraîne un risque planétaire inacceptable.

Pour un pays comme la Suisse, la Conférence de révision du TNP devrait donc davantage servir à faire passer certains messages qu’à contribuer à renforcer ce traité obsolète.

Yves Sandoz, professeur honoraire de droit international humanitaire.

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