Traité transatlantique : un système d’arbitrage toujours aussi « anti-démocratique »

Un nouveau cycle de négociations des accords de libre-échange Europe-Etats-Unis a débuté le 19 octobre, toujours dans le secret. Le volet « arbitrage » pourrait être revu.

Effet de la pétition contre le grand marché transatlantique récoltant 3 millions de signatures en un an ? De la multiplication des déclarations de collectivités territoriales contre les projets d’accords de libre-échange avec les Etats-Unis et le Canada - Transatlantic Free Trade Agreement/Tafta (appelé aussi Transatlantic Trade and Investment Partnership/TTIP) et Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) ? Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce international, tente de vendre une version édulcorée du mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats prévu dans le Tafta.

Il faut dire que le projet initial est inadmissible : permettre à des entreprises transnationales de poursuivre des États devant des arbitres internationaux – avocats d’affaires pour la plupart, choisis par les parties - pour obtenir des compensations au cas où ne seraient pas satisfaites leurs « attentes légitimes » a quelque chose d’ahurissant et de choquant.

Motifs baroques

Que ce scandaleux mécanisme existe et prospère déjà ailleurs ne le justifie en rien, bien au contraire : des indemnisations colossales ont été octroyées pour des motifs baroques à des entreprises transnationales qui n’ont pas admis que l’Argentine ait fixé un prix maximal d’accès à l’eau et à l’énergie (pour la bagatelle de 600 millions de dollars à la faveur d’entreprises telles que Aguas de Barcelona, CMS Energy ou Vivendi), que l’Equateur ait nationalisé son industrie pétrolière (1,8 milliard de dollars de compensation pour Occidental Petroleum).

Des demandes extravagantes visant à punir des choix politiques sont en cours d’examen (Vattenfall réclamant à l’Allemagne plus de 3 milliards de dollars parce que ce pays a décidé de sortir du nucléaire et que cette entreprise y possède deux centrales ; Véolia poursuivant l’Egypte qui a osé faire passer son salaire minimum de 41 à 71 euros par mois). Les exemples abondent des compensations punitives brandies contre les États, leurs choix politiques et leurs réglementations protectrices des populations.

Face aux critiques, la commissaire européenne Cecilia Malmström propose de doter ce système d’arbitrage de quelques caractéristiques destinées à lui donner l’apparence d’une juridiction. Et qu’il soit pour cela assorti d’un mécanisme d’appel, que les « arrêts soient rendus par des juges hautement qualifiés nommés par les pouvoirs publics », qu’une « définition précise » de la capacité des entreprises à saisir l’organe d’arbitrage soit établie et que le droit des États de réglementer soit inscrit dans les accords.

Mais les aménagements proposés ne purgent pas le système de son vice fondamental, qui consiste à conforter une catégorie de « super-justiciables » profitant d’un droit et de dispositifs de règlement des litiges spécifiquement dédiés à leurs objectifs propres. L’idée maîtresse est toujours la même : les entreprises ne doivent pas plus avoir à assumer les conséquences des changements politiques – découleraient-ils de choix démocratiques – qu’elles ne doivent tenir compte des contingences territoriales.

Nul ne peut choisir son juge

Dans ce projet, présenté à tort par la Commission européenne comme le symbole de sa résistance aux Etats-Unis, les investisseurs conserveront le privilège de pouvoir attaquer des décisions publiques devant un organe d’arbitrage, sans que l’inverse soit possible. Seules les entreprises auront ainsi le choix de porter leur demande soit devant une juridiction nationale soit devant un organe arbitral.

La responsabilité des entités publiques restera analysée à l’aune du traité de libre-échange, explicitement conçu pour favoriser les firmes transnationales, en retenant des notions aussi floues et extensives que le respect des « attentes légitimes », « l’expropriation partielle » ou le « traitement juste et équitable », inconnues des droits nationaux. Il demeure in fine l’opportunité offerte à des entreprises privées de remettre en cause, sur le terrain judiciaire, des décisions démocratiques prises par les gouvernements.

À cette procédure anti-démocratique a posteriori le traité ajoute le mécanisme a priori de la coopération réglementaire. Il s’agit d’instituer une consultation préalable obligatoire des lobbies industriels transnationaux très en amont dans le processus législatif : un véritable droit de veto donné aux multinationales avant toute délibération de la loi.

Magistrats, juristes, citoyens et citoyennes, nous rappelons que dans un état de droit, nul ne peut choisir son juge ni le droit qui lui est applicable, que l’égalité de tous devant la loi est une garantie fondamentale de la démocratie et que celle-ci ne saurait admettre de privilège de juridiction. Un état de droit démocratique ne saurait consentir, non plus, à ce que certains, fussent-ils des entreprises transnationales, ne se voient accorder le privilège d’être déliés du droit commun s’imposant à tous pour bénéficier d’un système normatif entièrement tourné vers la satisfaction de leurs intérêts.

Frédéric Viale (Économiste, membre du conseil d’administration d’Attac) et Marion Lagaillarde (Juge, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature)

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