Travailler moins pour gagner plus ?

Les formules apparemment les plus sensées peuvent, en fin de compte, se révéler stupides. Il en va ainsi de ce slogan de campagne «travailler plus pour gagner plus». Tout un chacun conviendra qu’en augmentant sa durée du travail on peut accroître son revenu. Encore faut-il que les entreprises puissent accorder des heures supplémentaires. Même en admettant cette condition satisfaite, est-il certain que ce qui marche pour un individu vaut pour tout un pays ? Un examen de la relation entre PIB par tête et durée annuelle du travail dans plusieurs pays d’Europe montre que, globalement, le niveau de revenu par tête est d’autant plus élevé que la durée du travail est faible. Les Pays-Bas, qui ont la durée annuelle du travail la plus faible, ont un des niveaux de revenu par tête les plus élevés, tandis que la Grèce, avec la durée la plus élevée, se situe en queue de peloton. A l’échelle d’un pays, il semblerait que plus on travaille, moins on gagne. Cette formule est quelque peu trompeuse, mais ce qui est incontestable, c’est qu’il n’y a pas de corrélation nette entre la durée annuelle du travail et le revenu.

Comment expliquer cet apparent paradoxe ? A l’évidence, le niveau technologique joue un grand rôle. Cela peut expliquer pourquoi certains pays, comme la Grèce, qui ont un niveau technologique inférieur à la moyenne européenne aient un revenu par habitant plus faible. Cependant, ce n’est pas cela qui fait la différence entre des pays comme la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Danemark dont les niveaux techniques sont proches. L’écart pourrait bien provenir du niveau de qualification de la main-d’œuvre, sensiblement plus élevé au Danemark et aux Pays-Bas qu’en France, mais cela n’explique pas tout. La quantité de travail joue aussi un rôle, mais pas au sens de la durée individuelle moyenne.

Ce qui fait la différence, c’est la quantité de travail globale de la société dans son ensemble. Les pays qui affichent le niveau de prospérité le plus élevé en Europe sont ceux dont les taux d’emploi sont les plus élevés. Cet indicateur, qui rapporte le nombre de personnes qui travaillent au nombre de personnes en âge de travailler, mesure d’une certaine manière l’accès de la population au travail. Le taux d’emploi est d’autant plus élevé que le taux de chômage est faible et que le pourcentage de femmes, de jeunes et de seniors en emploi est fort. Or, sur ces différents points : chômage, taux d’emploi des jeunes et des seniors la performance française est médiocre. Elle est certes supérieure à la moyenne européenne en ce qui concerne le taux d’emploi des femmes, mais très inférieure aux niveaux atteints dans les pays nordiques.

Le maintien d’une durée du travail élevée risque au contraire de limiter l’accès à l’emploi de ceux qui, pour diverses raisons, souhaiteraient des durées du travail plus courtes sur la semaine ou l’année, tels que les jeunes qui suivent une formation, les seniors qui ressentent la fatigue des ans ou les couples qui souhaitent consacrer plus de temps à leurs enfants. Ce n’est donc pas par des incitations aux heures supplémentaires, qui ne profiteront qu’à quelques-uns, que notre pays élargira l’accès à l’emploi du plus grand nombre, mais en offrant des horaires et des durées du travail mieux adaptés aux souhaits et aux besoins de chacun.

Pierre Boisard, chargé de recherche IDHE (institutions et dynamiques historiques de l’économie) à l’Ecole normale supérieure de Cachan et au CNRS.