Trump, la victoire d'un projet de haine

Des manifestants défilent à New York, jeudi 10 novembre, pour protester contre l'élection de Donald Trump. Photo Kena Betancur. AFP
Des manifestants défilent à New York, jeudi 10 novembre, pour protester contre l'élection de Donald Trump. Photo Kena Betancur. AFP

Il a gagné. «Il» : le racisme, le sexisme, l’appel au meurtre. Une certaine Amérique, celle du port d’armes et de la loi du plus fort, celle de la peur et du suprématisme blanc, triomphe : elle tient sa revanche. Une autre, celle où je vis, en Californie, qui a libéralisé le même jour la vente de marijuana, est à terre, KO, sans voix. L’Amérique du melting-pot et de l’immigration est devenu un pays clivé, divorcé, coupé en deux par l’un de ces murs que Donald Trump affectionne tant. Personne n’avait prévu ce sinistre dénouement. Absolument personne. Pas plus à l’université où je travaille que dans les instituts de sondage – à part, peut-être, un ou deux, qu’on moquait pour leur allégeance outrancière au parti républicain.

Outre d’être un cataclysme mondial, qui aura notamment des conséquences incalculables au Moyen-Orient, la victoire de Donald Trump donne le la des temps modernes, dans un monde où l’Europe est au diapason, du Brexit à l’irrésistible ascension de Marine Le Pen, en passant par la Hongrie et l’Autriche. Malgré les faiblesses de la comparaison, on ne peut s’empêcher de constater que tout rappelle les années 1930, la dérive fasciste, la revanche du «petit Blanc», dont la déréliction avait été si nettement perçue par Céline dans Voyage au bout de la nuit. Tout annonce la guerre. Tout promet une flambée du terrorisme.

La victoire est nette et sans bavure. Elle s’articule sur au moins trois points majeurs :

Le rejet de «l’establishment», soit de Washington et de l’élite, par une Amérique frustrée et laissée pour compte dans les zones rurales – cette masse rouge sur la carte électorale, qui occupe à peu près tout le territoire national, à l’exception de deux côtes et des grandes villes. Interrogé le 8 novembre vers 23h45 (heure locale, sur la côte est), Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York, ardent partisan de Trump qui a toutes les chances d’être nommé prochainement ministre de la Justice, déclarait à la télévision, en toute démagogie tranquille : «C’est la victoire du peuple. Le peuple est en passe de devenir «l’establishment». Ce qui n’est pas sans poser de questions, une fois de plus, sur le fonctionnement de la démocratie et du système électoral américain. Car Hillary Clinton a en réalité gagné le vote populaire, mais n’a pas obtenu le nombre suffisant de grands électeurs. Or «le peuple» va comprendre très vite dans quelle estime Donald Trump le tient : une masse à exploiter, celle qui lui a permis d’agrandir son empire, et prochainement de la chair à canon.

Le triomphe de l’impunité et du cynisme

En janvier dernier, en campagne dans l’Iowa, Trump déclarait : «Je pourrais me mettre au milieu de la Cinquième avenue et tirer sur le premier venu, je ne perdrai aucun électeur». C’est à cet homme-là que les Américains ont confié l’arme nucléaire. Ses mensonges, ses insultes, ses outrances, son incompétence patente : rien n’y a fait. Au contraire. C’est l’outsider sans expérience, qui se vante d’échapper au fisc, qui a été plébiscité. Mais souvenons-nous : l’incompétence patente de George W. Bush et ses mensonges avérés sur les armes de destruction massive ne l’ont pas empêché d’être élu (on a du mal à écrire «réélu», vu que la première élection avait été truquée). Obsédée par la vérification des faits et le fameux «reality check», officiellement scandalisée par le mensonge qui offense la morale, l’Amérique pragmatique et terre à terre n’est en réalité sensible qu’aux sirènes du récit individuel, qu’à la voix qui sort du lot et raconte une histoire à succès. Conte de fées contre compte de faits. Trump a promis de rendre à l’Amérique sa «grandeur» et d’écraser les «djihadistes», avec l’aide de Poutine. Bienvenue dans l’Amérique des superhéros.

La haine des femmes

L’homme d’affaires et désormais prochain président des Etats-Unis, on le sait, assurait dès 2005 que sa notoriété lui permettait «d’attraper toutes les femmes par la chatte». Il insulte les grosses et les moches. Flatte les mannequins et commente leurs mensurations. Les aime mieux en robes de préférence échancrées, potiches de salon, à la cuisine ou au lit, bref, à leur place. Violemment opposé à l’avortement, à l’image de son colistier, il a juré de nommer à la cour suprême un juge «pro-life». On ne doute pas qu’il tiendra parole. L’ère qui s’ouvre est un drame pour les femmes et les avancées du féminisme.

Dans ce contexte, Hillary Clinton, qui certes n’est pas une sainte, cumulait toutes les tares. Incarnation du pouvoir de Washington, unanimement reconnue comme la candidate la plus qualifiée de toute l’histoire des Etats-Unis, elle a le tort d’appartenir à ce qu’on va de nouveau appeler «le sexe faible» et revendique être féministe. La haine qu’elle catalyse depuis des décennies, que l’on savait bien réelle, a été encore sous-estimée. Le triomphe de Trump est sans doute d’abord cela : le rejet sans appel des femmes et de leur possible accession à la présidence. Il a d’ailleurs menacé sa rivale de la prison s’il gagnait les élections, ce qui donne une idée de la liberté d’expression qu’il va accorder à ses opposants.

Aujourd’hui, la question est au moins autant de comprendre comment on en est arrivé là que de savoir comment en sortir, et au plus vite. Si un homme qui a déclaré avec autant de transparence et de violence son projet de haine, d’exclusion des minorités et des femmes, quel est le discours que les Américains sont aujourd’hui en mesure d’entendre pour reprendre leurs esprits ? «Je peux tuer, mentir, voler, je m’en fous, je suis le plus fort», dit en substance Donald Trump. C’est cet homme-là que l’électorat a porté au pouvoir. Quelle réponse rationnelle apporter à cette énormité ? Quel avenir envisager dans un pays qui se revendique désormais sans foi ni loi ? Et le plus désespérant, c’est que l’on sait maintenant que ses «dérapages», innombrables pendant la campagne, n’auront aucun effet sur sa popularité, sinon sans doute de l’accroître auprès d’un peuple enfin «décomplexé».

Laure Murat, professeure au département d’études françaises et francophones, et directrice du Centre d'études européennes et russes à UCLA.

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