Tunisie : vers la seconde République

Deux orientations caractérisent la couverture médiatique de la "révolution du jasmin". D'une part les médias occidentaux reprenant systématiquement le thème lancinant du péril islamiste ; d'autre part les chaînes arabes, Al-Jazeera en premier lieu, avec leur insistance, frisant le délit de faciès, à voir "les visages connus" disparaître de la scène politique tunisienne.

Précisons, pour éviter les amalgames, que les islamistes tunisiens sont contre la polygamie, pour l'avortement et n'arrivent pas à s'aligner sur la position de l'islam officiel (Al Azhar) qui claironne que s'immoler par le feu est un acte impie : opportunisme politique et tentative de récupération de la Révolution obligent.

Au-delà des blogueurs qui appellent à refouler le chef historique d'Al Nahdha depuis l'annonce de son retour et des "facebookeurs" qui demandent à ce dernier de leur ramener chacun une bouteille de Vodka du Duty Free de l'aéroport, le courant islamiste, même modéré, n'a pas bonne presse auprès des larges couches éduquées de la population. Georges Bush a fait fleurir plus de foulards sur la tête des tunisiennes que des décades de prédication islamiste.

De son côté, Al-Jazeera bénéficie d'une sympathie à la hauteur de sa couverture des événements. Mais Al-Jazeera cache bien sa ligne éditoriale. Ainsi l'on ne verra jamais les images des femmes fouettées au Soudan ou lapidées ailleurs. Par contre, la Tunisie a un lourd contentieux avec la chaîne satellitaire. Pas seulement Ben Ali, mais même avec notre pratique de l'islam. Au-delà de la mer Rouge, nous les appelons péjorativement les "Arabes" et ils nous rendent la pareille en nous traitant d'occidentaux ou pire encore de "Français". A chacun son racisme. Dans ce sens il y a lieu de suivre de près les raisons du retour au pays du chef de la diplomatie tunisienne le 20 janvier, claquant la porte du sommet arabe.

Le grand théoricien d'Al-Jazeera, Qaradhaoui, demande à ce que tous les "visages" de la politique tunisienne disparaissent, s'immissant allègrement dans nos affaires. D'autres appels parlent des "mains souillées de sang" (sic) du premier ministre. Et pendant que ces grosses ficelles sont déroulées, le leader islamiste tunisien ne cesse de répéter sur la meme chaîne qu'il va effectuer son grand retour, qu'il espère triomphal à l'instar du 1er Juin 1955 de Bourguiba.

Bien sûr les islamistes ne se présentent pas à la présidentielle : ils ne veulent pas être battus à plates coutures. Ils attendront les législatives. C'est de la stratégie politique et c'est de bonne guerre.
D'un autre coté, ce qui émerge des positions occidentales, c'est l'appel à "des élections libres, démocratiques et transparentes" : la langue de bois n'a pas de frontières pour défoncer des portes ouvertes. Mais là où celà commence à agacer, c'est quand on se propose de nous envoyer des "observateurs internationaux" pour les élections. Faut-il préciser qu'il y a ici assez de "maîtrisards" et de doctorants y compris en droit et en sciences politiques pour satisfaire nos "besoins" en démocratie et même, à l'instar d'autres métiers, pour "exporter" ces compétences ?

Que Mme Ségolène Royal veuille venir en Tunisie, nous ne demandons pas mieux que de lui donner un petit coup de pouce médiatique : il ne peut que nous être bénéfique en termes d'image. Mais de grâce, tirons quelques leçons des événements et que l'on cesse de prendre la Tunisie pour un pays de seconde zone. Evitons le paternalisme.

S'il est besoin d'un peu d'exotisme il ne faut plus le chercher du coté d'un "despotisme oriental". On peut proposer quelques remplacements :

1- Des femmes en décolleté nous ont accompagné dans la manifestation du 14 janvier qui a rassemblé 100 000 personnes (3 hectares à raison de 3 personnes au mètre carré) brandissant des pancartes inimaginables devant le ministère de l'intérieur, pendant que Ben Ali pleure à chaudes larmes chez lui. A comparer avec la rue des 18 et 19 janvier demandant la démission "de tous les visages connus", sans émouvoir ces derniers, regroupant quelques centaines de manifestants, barbus et enfoularées inclus.

2- Un président du Sénat (chambre haute) maintenu en place par un gouvernement révolutionnaire de transition qui se fait exclure par le parti de Ben Ali, se permettant une tentative de fuite le 19 janvier au soir et qui est ramené gentiment à son poste afin que la transition ne souffre d'aucun vice de forme constitutionnel.

On n'aura pas fini avec l'exotisme tunisien ! En tout cas les piques et les potences ne sont pas prêtes de fleurir Avenue Bourguiba : c'est une question de culture et de maturité politique.

Par Fethi Jelassi, Architecte et Sociologue . Actionnaire de la société des lecteurs du Monde.

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