Un an après les attentats de Bruxelles, il faut sortir du « Belgium bashing »

Les terribles attentats qui ont frappé Bruxelles le 22 mars 2016, à l’aéroport de Bruxelles-National, à Zaventem, et à la station de métro Maelbeek, et qui ont fait 35 morts, sont encore dans tous les esprits des Belges mais également des Européens.

Panser ses plaies devient un travail quotidien pour les centaines de personnes meurtries psychologiquement par ce drame et pour toute une nation qui espère toujours ne plus vivre cela. Pourtant, il y a toutes les raisons d’être inquiet et il est urgent de rappeler certains éléments afin de mieux « penser » ces plaies pour ne pas que d’autres surviennent.

Parce que nous avons tout misé sur le sécuritaire depuis un an et demi, en France comme en Belgique, en privilégiant le déploiement des militaires et le renforcement des capacités policières d’investigation, nous avons tenté de rassurer la population. Cela coûte très cher et, en attendant, de nombreuses organisations de prévention de la radicalisation, timidement soutenues jusque-là par l’Etat, peinent à rattraper leur retard. Pourtant, elles font un travail de pédagogie fondamental auprès du personnel public mais également des écoles.

Un contexte global

Nous ne sommes pas seuls et isolés. La Belgique a été victime d’un « belgium bashing » exagéré, à l’issue des attentats de Paris, rendant responsable le pays tout entier d’avoir laissé proliférer la menace islamiste comme les succursales salafistes dans les quartiers et les villes paupérisés. Soit. Mais n’est-ce pas facile de condamner un petit pays alors que c’est un contexte global géopolitique qui le dépasse largement ?

L’expansion idéologique et religieuse du wahhabisme touche l’ensemble des pays européens et au-delà depuis plus de trente ans. Alliée des Etats-Unis depuis 1945, rempart contre la contagion chiite depuis 1979, gardien des lieux saints de l’islam, donc interlocuteur incontournable, l’Arabie saoudite est aussi un bon client en termes d’équipements militaires, notamment avec la France. Après, comment s’étonner que la menace se retourne contre nous ?

Pourquoi un « Belgium bashing » exagéré ? Parce que de tradition, tous les petits pays qui n’ont pas les moyens d’avoir une sécurité extérieure s’en remettent à leurs puissants voisins. C’est le cas de la Belgique avec la France et l’Allemagne. Si la Belgique est fragilisée à un moment donné, c’est qu’il y a une faille aussi du côté français. Or, depuis des années, on a sabré dans les effectifs des services, avec la fusion de la DST et de la DGSE, et en supprimant la police de proximité entre 2007 et 2012. La radicalisation violente fermente là où l’information se perd entre le local et le national.

Molenbeek et Trappes

La Belgique et la France vivent des drames similaires. La sociologie récente des profils de radicalisation prouve bien qu’il ne suffit plus de se concentrer sur une population jeune, désœuvrée, issue de l’immigration, sans diplôme, en rupture familiale, issue de Molenbeek ou de Trappes. Comment comprendre sinon qu’en France l’un des départements les plus radicalisés, avec la Seine-Saint-Denis, soit les Alpes-Maritimes, dont Nice ? Idem sur la Belgique que l’on a réduite à un certain « Molenbeekistan » alors que la radicalisation en Belgique a pris corps, en région flamande, à Anvers et à Vilvorde ?

La radicalisation et la menace depuis deux ans touchent de plus en plus de profils qu’on ne pouvait imaginer il y a quelques années : 40 % des radicalisés signalés « S » sont des convertis en France, 20 % des nouveaux signalés sont mineurs, et près de 40 % des nouveaux profils sont des filles.

La radicalisation ne se passe pas uniquement dans un cadre spatio-temporel unique, type café du coin ou mosquée à Molenbeek, mais essentiellement sur Internet et en prison. Des prisons dont on connaît l’état de délabrement et l’absence de politique de prévention de la récidive. Une grande partie des jeunes partis en Syrie et revenus pour commettre des attentats se sont radicalisés en prison, enfermés pour de la petite délinquance et sortis en aventuriers du grand banditisme. Et que faire avec ceux qui sortiront dans peu de temps ? Sont-ils « désengagés ? » Non.

Loups solitaires

Notre plus grande inquiétude concerne ceux qui vont revenir de Syrie au fur et à mesure de l’affaissement de l’organisation Etat islamique. Notre « espoir » est que ces jeunes « returnees » partent sur d’autres terres de djihad (Bosnie, Libye) ou se retranchent dans des confins désertiques plus insaisissables comme dans la bande sahélienne. Mais c’est une solution de court terme. Le problème est déjà chez nous. Car il ne faut pas oublier que depuis 2015, le chef de l’organisation Etat islamique, Al-Baghdadi, a appelé à frapper sur le sol européen sans avoir rejoint le groupe auparavant. Et les loups solitaires, hors filières, plus insaisissables, risquent bien de se multiplier.

Notre urgence est de tout miser sur la prévention, l’éducation, la culture, de produire des contre-discours, dynamiser les réseaux existants, reconsidérer la question de la menace d’un point de vue euro-méditerranéen. C’est un défi que de redonner confiance à nos jeunes, de res-susciter l’adhésion aux valeurs de la nation et de la démocratie, accentuer le combat contre les populismes haineux qui creusent notre tombeau. Il s’agit bel et bien de « penser » nos blessures et nos plaies, et plus uniquement de les panser et d’attendre le prochain drame. D’autant que des franchises de l’organisation Etat islamique vont voir le jour, de l’Afrique centrale à l’Indonésie, et que si l’on peut venir à bout d’un territoire, une idéologie ne disparaît jamais tout à fait.

Sébastien Boussois, Chercheur associé en Sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles. Il est formateur à l’Unismed (Nice), spécialiste des relations euro- méditerranéennes. Il est aussi coauteur, avec Asif Arif, de « France Belgique, la diagonale terroriste », préface de Marc Trévidic (La Boîte à Pandore, 2016).

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