Un an après : une Géorgie debout et libre

Dans la nuit du 7 août 2008, la 58e armée russe a franchi les frontières internationalement reconnues de la Géorgie. Ainsi commençait une invasion préparée de longue date, visant à renverser mon gouvernement et à renforcer le contrôle de Moscou sur une région qui lui échappait de plus en plus.

Un an après, force est de constater que cette invasion n'a pas eu les résultats que le Kremlin escomptait. Le bilan de ces quelques jours de guerre fut lourd : 410 Géorgiens tués, pour la plupart des civils, plus de 1 700 blessés et quelque 170 000 personnes obligées de quitter leur foyer, parmi lesquelles des dizaines de milliers pour fuir le nettoyage ethnique frappant les villages d'Ossétie du Sud et d'Abkhazie. Le coût économique de l'invasion s'est élevé à plusieurs milliards d'euros.

En violation de l'accord de paix signé par le président Medvedev, les militaires russes ne se sont pas retirés sur les lignes qu'ils occupaient avant le conflit, et plus de 10 000 d'entre eux stationnent toujours dans ces deux territoires géorgiens occupés. Aujourd'hui, leur présence renforcée est d'autant plus menaçante que la Russie vient d'empêcher le renouvellement des missions d'observation des Nations unies et de l'OSCE (l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), chargées de protéger les droits de l'homme et de surveiller les mouvements de troupes.

Pourtant, la Géorgie est en train de se relever. Notre démocratie se renforce, les investisseurs étrangers reviennent, et le monde reconnaît désormais que les agissements russes d'août 2008 représentent une menace non seulement pour la Géorgie, mais aussi pour tous les pays épris de liberté et d'indépendance dans la région.

Les aspirations de la Géorgie sont à la fois simples et audacieuses. Depuis notre "révolution des roses" en 2003, nous avons travaillé d'arrache-pied à transformer un Etat déliquescent, profondément corrompu et vassalisé, en quelque chose de profondément nouveau dans notre région : un Etat moderne, responsable, allié avec l'Ouest, conforme aux standards européens et résolument engagé sur la voie de la démocratie et de l'économie de marché.

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, ces aspirations devraient aller d'elles-mêmes. Même la Russie devrait se féliciter d'avoir un voisin stable, dynamique et prospère. Au lieu de cela, Moscou se sent outragé par notre dessein collectif. Comme si l'avènement dans le Caucase d'une nouvelle génération de leaders tournés vers l'Europe représentait une menace existentielle pour l'Etat Russe. Pareille perception héritée de la guerre froide explique en grande partie les événements d'août 2008. Ce fut difficile, mais nous avons survécu à la guerre. Lorsque celle-ci a pris fin, nous nous sommes trouvés face à un choix fondamental.

La plupart des pays confrontés à de si graves dangers ont tendance à se replier sur eux-mêmes. Nous avons au contraire choisi de nous engager plus en avant dans la voie des libertés et des valeurs que nous partageons avec l'Ouest. Ces valeurs, nous le savons, seront in fine notre meilleure protection, la garantie que nous ne reviendrons jamais aux temps sombres de l'oppression soviétique. Lors des manifestations d'avril par exemple, alors même que les chars russes trônaient - ce qu'ils font toujours - à 32 kilomètres de notre capitale, nous avons opté pour une politique d'ouverture et de retenue. La police n'est pas sortie dans les rues, et a permis aux manifestants de bloquer illégalement pendant trois mois la principale avenue de Tbilissi.

Refusant de tirer prétexte de l'occupation russe pour limiter l'expression des contradictions et des antagonismes qui traversent la société géorgienne, j'ai personnellement veillé à ce que les forces de l'ordre protègent les campements de l'opposition. Puis, nous avons invité les chefs de la contestation à ouvrir un dialogue pour réformer en profondeur notre Constitution, le système électoral, les médias et la justice.

Au mois de juillet, ce dialogue est passé à une vitesse supérieure lorsque j'ai pris l'engagement d'une série de réformes selon un agenda précis : l'élection au suffrage universel direct des maires en mai 2010 ; un nouveau code électoral et l'élection par consensus du président de notre Commission électorale centrale ; moins de pouvoir pour le président, plus pour le Parlement ; des sanctions plus strictes contre les représentants de l'Etat qui tenteraient d'influencer les juges ; un Conseil de l'audiovisuel composé à parité de membres de l'opposition et de la majorité.

Nous avons redoublé d'efforts pour ouvrir notre pays. La communauté internationale l'a bien noté, et nous lui en sommes reconnaissants. Plus de quatre milliards d'euros ont été promis pour nous aider à réparer les dégâts causés par la guerre et à prendre en charge les personnes déplacées. Les investissements étrangers arrivent de nouveau. La communauté internationale a condamné les multiples violations par la Russie de l'accord de cessez-le-feu. En juillet, à Moscou, le président Obama a fermement défendu notre intégrité territoriale et nos aspirations à rejoindre l'OTAN.

Aujourd'hui la Géorgie fait face à une situation nouvelle, qui a pourtant des airs de déjà-vu. De même que le mur de Berlin séparait autrefois le monde libre de l'espace communiste, une frontière de barbelés nous sépare aujourd'hui de nos deux territoires occupés. Dans ces territoires, les observateurs internationaux ont été expulsés, les médias muselés, et les citoyens géorgiens empêchés de retourner dans leur foyer. Pendant ce temps, la Russie continue d'y construire de nouvelles bases militaires.

Ce n'est pas une menace qui nous concerne uniquement. C'est un danger pour toutes les nations libres qui souscrivent au principe selon lequel les frontières internationales ne peuvent être modifiées par la force. Si nous ne nous opposons pas à ces pratiques, qu'il s'agisse d'agressions transfrontalières, de "conflits gelés" pour déstabiliser des Etats souverains, ou de coupures énergétiques à des fins politiques, aucun d'entre nous ne sera en sécurité. C'est pourquoi, avec nos amis occidentaux, nous avons choisi d'appliquer les méthodes qui ont permis de mettre fin pacifiquement à la guerre froide.

Nous avons appelé tous les Etats à respecter l'intégrité territoriale de la Géorgie et à ne pas reconnaître les territoires occupés. Nous sommes heureux de constater que cette approche a été adoptée par la quasi-totalité de la communauté internationale. Nous sommes déterminés, mais patients. Nous ne chercherons pas à reprendre ces territoires par la force - mais nous n'oublions pas non plus les droits des Géorgiens déplacés. Par-dessus tout, nous continuerons à bâtir une démocratie et une économie ouvertes. Comme nous l'a déclaré en juillet le vice-président Joe Biden lors de sa visite à Tbilissi : "Toutes les nations progressistes du monde sont concernées par votre succès, particulièrement les nations de cette région."

Il y a vingt ans, le magnétisme qu'exerçait l'Ouest libre et prospère a fait tomber le mur de Berlin. Nous sommes convaincus que l'exemple d'une Géorgie libre et prospère finira par restaurer notre souveraineté et redresser les torts causés par l'invasion russe d'août 2008. Avec l'aide de nos amis aux Etats-Unis et dans l'Union européenne - envers laquelle nous serons éternellement reconnaissants pour son rôle en 2008 et depuis -, la Géorgie continuera à se relever et poursuivra son chemin vers la grande famille des démocraties européennes.

Mikheïl Saakachvili, président de la République de Géorgie.