A l’Athénée Palace, ambiance Grand Bucarest Hotel

Situé au cœur de Bucarest, au coin de Calea Victoriei et de la place George-Enescu, l’Athénée Palace étale fièrement son architecture Art déco entre l’ancien Palais royal et l’Athénée national dont il tire son nom. Au rez-de-chaussée, le café de cet hôtel, construit en 1912 par une société française attirée par le charme du «Petit Paris» [surnom de Bucarest à l’époque, le «Petit Paris des Balkans», ndlr] où le grand Paris se retrouvait alors, fut au centre des intrigues historiques qui ont marqué le destin de la Roumanie. Il fut le lieu de rencontre des élites des années 20, avant de laisser place aux Allemands désireux d’instaurer le national-socialisme dans les années 40. Romulus Rusan, écrivain et critique littéraire de la revue Steaua (publication officielle du régime), allait régulièrement à l’Athénée car il en était voisin. A la chute du communisme, il fut l’un des fondateurs du groupe l’Alliance civique, qui s’est interrogé sur les formes de la démocratie à adopter en Roumanie. De même, Andrei Plesu, écrivain et ancien ministre de la Culture des années 90, fréquentait le café de l’Athénée. Intellectuels, artistes, hommes politiques, espions et dames de compagnie y ont mis au point des alliances, y ont écrit des livres, mais ont aussi élaboré des guerres, fomenté des complots, des coups d’Etat, quelques meurtres et même noué des romances.
Tel le Phénix, l’Athénée a toujours su renaître
L’Athénée Palace, c’est l’histoire d’un Phénix : incendié en 1944, lors de la Seconde Guerre mondiale, il a été modifié par les communistes dans les années 60, remodelé après la chute de Ceausescu dans les années 90 et modernisé en 2005, lors de son rachat par l’homme d’affaires George Copos. Du décor original, il ne reste rien, même pas des images puisque les archives ont disparu dans l’incendie de 1944. Mais comme le Phénix, l’Athénée Palace a toujours su renaître de ses cendres et de ses multiples modifications architecturales car sa position centrale représente un atout qui lui a permis de survivre jusqu’à nos jours.
«L’Athénée, c’est une maison loin de la maison, et comme à la maison, ce qui s’y passe y reste !» nous affirme dans un sourire bienveillant le chef de la conciergerie, Vasile. Difficile de ne pas croire cet ancien de la maison qui fait partie de l’Association des clés d’or. Située juste en face du café, la conciergerie est un lieu stratégique, et pendant qu’il nous parle, Vasile garde l’œil sur les lieux. Secondé par Anderson, venu de Sierra Leone il y a plus de vingt ans et qui n’a plus jamais quitté cet endroit mythique, Vasile reste attentif aux désirs les plus fous des clients. Mais aucun secret ne filtre du sourire discret de Vasile, ni des éclats du rire franc d’Anderson. Ils ne nous parleront pas des vedettes de toujours ou d’un jour qu’on y croise, ni des habitudes de l’ancien numéro 1 du tennis mondial Ilie Nastase ou de son collègue Ion Tiriac, des clients réguliers. Rien non plus sur l’acteur Serban Ionescu ou l’actrice Carmen Stanescu qu’on pouvait encore apercevoir il y a peu.
L’Athénée Palace porte pourtant un long héritage. Si les murs du café résonnent encore des rires des élégantes du début du siècle dernier et que le bruit des talons sur le sol en damier laisse imaginer l’ambiance des Années folles d’un Bucarest sans tabous, le café d’aujourd’hui se décline dans des tons parme où les velours côtoient les bois noirs. En contemplant le Palais royal par la fenêtre, on ne peut que penser à la comtesse Rosie G. Waldeck qui dédia un livre à l’Athénée Palace. De juin 1940 à janvier 1941, elle y observa le tournant de la guerre et la déchéance sanglante de l’Europe. Car de ses fenêtres, clients et employés ont vu défiler la garde royale, puis la garde de fer, alors que la fureur grondait dans Bucarest. Des années 60 à son dernier passage en 1989, on pouvait voir sur la Calea Victoriei le cortège de Ceausescu qui se rendait quotidiennement au Comité central du Parti communiste roumain, d’où on l’a vu s’enfuir en hélicoptère avant son exécution.
Les «Jeunes Joyeux» s’y retrouvaient
Sous Ceausescu, le café accueillait la nomenklatura du régime car «c’était le seul endroit de Bucarest où on pouvait boire un Pepsi. A l’époque, c’était un produit de luxe que l’on ne trouvait qu’au marché noir, parce que les produits occidentaux étaient interdits, mais ici, on le servait à la vue de tous», se souvient Vasile. Aux côtés des personnalités du régime, on y a vu défiler le fils préféré du dictateur, Nicu Ceausescu, et Nadia Comaneci, qui débarquaient à l’improviste avec leurs amis. Loin des privations que subissaient leurs congénères, ceux qu’on appelait les «Jeunes Joyeux» se retrouvaient ici pour célébrer leur insouciance. «Le communisme a été une période grise, mais la vie brillait ici», affirme Vasile avec une pointe de tristesse.
Oasis de bonheur pour les privilégiés, l’Athénée n’en demeurait pas moins un lieu surveillé par la Securitate, la police politique. On parle de micros dans les tables, découverts lors de la restauration du café. Si le personnel préfère rester discret sur la question, une petite lueur anime les regards quand on évoque cette anecdote, entretenant ainsi la légende. Mais tout le monde s’accorde pour admettre que l’ex-directeur Vintila était un cadre de l’organe répressif du régime communiste. A cette époque, les dames de compagnie fréquentaient aussi le café. Informatrices de premier rang, elles étaient tolérées même si la prostitution était officiellement interdite.
Les étudiants étrangers qui pouvaient payer en dollars y étaient évidemment les bienvenus. Aujourd’hui chirurgien cardiaque de renom, le docteur Tammam est arrivé en Roumanie en 1979 pour ses études. «Dans le monde communiste, l’Athénée avait l’air occidental. C’était un lieu raffiné», se souvient-il. «Je venais parfois avec des collègues roumains, mais ils avaient peur de la Securitate qui pouvait les voir ici. C’était compliqué de fréquenter des étrangers car ils risquaient ensuite d’être interrogés pour le simple fait d’avoir été vus avec moi, et ils n’avaient pas le droit de rentrer ici. Mais bien souvent, tout le monde fermait les yeux, et on pouvait prendre un café tranquille», nous confie celui qui vient encore chaque mois sauver bénévolement la vie des enfants atteints de maladies cardiaques au centre Marie-Curie de Bucarest. «Je prends mon café ici le matin, avant d’aller à l’hôpital. Je me sens chez moi, comme dans toute la Roumanie, et c’est avec regret que je m’en vais, à chaque fois», nous avoue-t-il avant de partir pour l’aéroport.
De l’époque communiste, il ne subsiste plus de traces dans le café. Mais les anciens se souviennent qu’on y a suivi en direct la chute de Ceausescu. En décembre 1989, «tout le monde regardait par les fenêtres, incrédule. L’incendie de la bibliothèque nationale était impressionnant, et les clients, tout comme le personnel, étaient incrédules», explique Vasile. L’Athénée a vu tomber, impuissant, les corps des premiers révolutionnaires combattant pour la démocratie. Il a aussi vu désarmer les tireurs embusqués du toit du Palais royal. De cette époque, Vasile ne nous dira pas plus. Il préfère se concentrer sur le présent et garder en mémoire les moments magiques dont l’Athénée est encore le théâtre. Un de ses événements préférés est l’arrivée des clients de l’Orient-Express que l’Athénée accueille chaque année lors de son escale à Bucarest. Le café semble alors remonter le temps. «Nos clients sont toujours soignés, mais lorsqu’arrive l’Orient-Express, l’ambiance change. Les costumes des hommes et les tenues spéciales des dames sont un véritable spectacle aux premières heures du jour», s’égaye Vasile.
Une valise oubliée avec 48 000 euros
Cheffe pâtissière de l’Athénée Palace, Mimi Dima perpétue la tradition raffinée du café. Des pauses au café aux commandes spéciales à monter dans les chambres ou à emporter, chacun peut voir son bonheur prendre vie sous les doigts experts de Mimi. Mousse au champagne ou à la rose enchantent les palais exigeants, et Mimi connaît les habitudes de ses clients les plus fidèles. «Le roi Michel aimait le chocolat noir et la menthe», nous confie la pâtissière un peu nostalgique depuis le décès du dernier roi roumain, l’an dernier. C’est du café qu’elle a vu passer son cortège funéraire. Des souvenirs gustatifs des clients de l’Athénée, Mimi en a des centaines, le plus marquant étant celui de Vladimir Poutine. Venu rencontrer son homologue américain, George W. Bush, à Bucarest en 2008, le président russe avait alors goûté le sorbet à la tuica (eau-de-vie de prune traditionnelle) confectionné spécialement à cet effet.
Sans doute enchanté par les délices subtils des gâteaux de l’Athénée Palace, un homme y oublia un jour une valise. Il s’avéra qu’elle contenait 48 000 euros. Remise à la police, nul ne sait si elle a été récupérée. Des histoires comme celles-ci, le café en regorge et on raconte même que certains clients y ont trouvé l’âme sœur. On ne saura jamais ce qu’il advint de ces romances nées autour d’un café, mais une chose est sûre, si l’on tend l’oreille, les murs de l’Athénée ont encore bien des histoires à raconter et peut-être, en prenant un café aux premières heures du jour, verrez-vous la fameuse mariée que l’on dit hanter les lieux, pleurant son jeune époux qui la tua par jalousie la nuit de leurs noces.
Irène Costelian, correspondante à Bucarest.