Un désir d’enfant sans limites

Les débuts . En 1978 naissait Louise Brown, le premier bébé-éprouvette du monde. Un événement qui, à l’époque, a créé une vive émotion: en Grande-Bretagne, l’Association des médecins est allée jusqu’à parler de «recherche sans scrupule». Le monde politique, les médias et le public ont âprement débattu pour savoir si la conception hors du ventre maternel devait être autorisée ou interdite, s’il s’agissait d’un progrès ou d’un délit. Aujourd’hui, quelques décennies plus tard, la fécondation in vitro (FIV) appartient à la normalité sociétale. Quatre millions d’enfants sont venus au monde grâce à cette technique. Mais en même temps, celle-ci a ouvert la voie à de toutes nouvelles formes d’interventions dans la vie humaine.

Une évolution rapide . Cette méthode, initialement destinée aux femmes infertiles en raison d’une obstruction des trompes utérines, s’est élargie à un large spectre d’indications médicales les plus diverses. Par exemple: lorsque le problème d’infertilité provient de l’homme; lorsque les causes de l’infertilité du couple ne sont pas claires; lorsqu’un couple présente un risque génétique élevé, afin de pouvoir sélectionner les embryons qui ne portent pas le gène incriminé; lorsqu’un enfant est malade, afin de concevoir un frère ou une sœur génétiquement compatible dont le matériel cellulaire pourra être utilisé dans un but thérapeu­tique.

Les nouveaux groupes. Jusque dans les années soixante, la «famille normale» se composait généralement d’un couple marié, de sexes évidemment différents, avec des enfants légitimes. Mais depuis, le monde a changé. Les couples homosexuels, les concubins, les parents non mariés, les divorcés, les familles recomposées, toutes ces formes de relations qui étaient autrefois considérées comme déviantes sont pratiquées par un nombre de plus en plus important de personnes. Et surtout, elles sont désormais acceptées. De nombreux comportements, autrefois réprouvés, sont devenus des modes de vie parmi d’autres.

Mais, dès lors que de plus en plus de comportements sont reconnus par la société, pourquoi ceux qui vivent en marge de la famille normale traditionnelle devraient-ils renoncer à fonder une famille? Si les uns ont droit à la parentalité, pourquoi pas les autres? Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, ils ont enfin la possibilité de concrétiser leur désir d’enfant. Parmi eux, il y a: les couples homosexuels et lesbiens; les femmes qui n’ont jamais eu de rapport sexuel; les femmes au-delà de 60 ans, qui se découvrent un irrésistible désir de maternité à l’âge de la retraite; les femmes dont le conjoint est décédé et qui souhaitent un enfant de lui; les femmes qui se sont fait stériliser quand leur famille leur semblait au complet et qui désirent un enfant dans le cadre d’une nouvelle relation; les couples qui veulent déterminer le sexe de leur descendance.

«L’appétit vient en mangeant», disait, il y a des décennies déjà, le philosophe allemand Hans Jonas, spécialiste de l’éthique des technologies avancées. C’est dans cet esprit qu’a lieu aujourd’hui l’expansion du désir d’enfant. Avec la pluralisation des formes de vie, la clientèle de la médecine reproductive augmente. Elle n’est plus composée uniquement d’hommes et de femmes avec des problèmes de nature physiologique, mais aussi de ceux qui n’ont pas d’enfants pour d’autres raisons.

La globalisation. La mise en œuvre de la procréation médicalement assistée se heurte toutefois à deux obstacles. Premièrement, de nombreux pays ont édicté des lois restrictives en la matière. Tout ce qui est techniquement et médicalement possible n’est pas forcément autorisé. Deuxièmement, il y a les obstacles financiers. Les offres de la médecine reproductive coûtent cher, et ces coûts ne sont que partiellement remboursés par les caisses maladie. C’est pourquoi nombre d’hommes et de femmes vont chercher le bonheur parental par-delà les frontières, là où les lois sont moins restrictives, là où la main-d’œuvre est bon marché et où les prix sont moins élevés. De la République tchèque à l’Inde, en passant par la Russie, de nombreux pays se sont mués en centres de procréation médicalement assistée, spécialisés dans une clientèle internationale.

Sur leurs sites web, ils vantent les lois de leur propre pays qu’ils présentent comme «modernes», «ouvertes» ou «libérales». Ce qui peut se traduire librement par «chez nous, il n’y a pas de problèmes de lois importunes» ou «nos prestations sont à la hauteur de vos désirs». De nombreuses cliniques offrent leur propre assistance juridique, d’autres promettent un personnel polyglotte, d’autres font la publicité des attractions touristiques régionales. A quoi s’ajoute l’argument financier, le rapport qualité-prix. Dans les régions pauvres de la planète, les pays à bas salaires, les Occidentaux au portefeuille bien garni peuvent acheter non seulement des biens et des services, mais aussi réaliser leur désir d’enfant à un prix particulièrement bas.

C’est ainsi que dans le jeu de l’offre et de la demande se met en place le tourisme de la procréation. Des cliniques internationales offrent des services de toute nature, de la fécondation in vitro, en tant qu’offre de base, jusqu’au choix du sexe de l’enfant, en passant par des catalogues avec des photos des donneurs de sperme et d’ovules ou la mise en relation avec des mères porteuses, avec photos et profils biographiques. Dans le monde entier se développent des centres qui se spécialisent dans des types particuliers de traitements et de groupes de clients.

Alors, Copenhague attire les couples lesbiens et les femmes célibataires, la Belgique fait partie des pays européens les moins restrictifs du point de vue de la loi et l’Inde est devenue un centre mondial de mères porteuses. Selon le traitement désiré et les ressources financières disponibles, les Allemands iront en Turquie, les Egyptiens au Liban, les Hollandais en Belgique. Les femmes allemandes se font implanter des ovules de femmes espagnoles, les Françaises vont chercher leurs ovules en Italie, et les Libanaises utilisent ceux des Américaines. Et voilà que l’enfant, créé à partir d’un ovule espagnol, d’un sperme danois et d’un ventre indien, apparaît comme le produit d’une joint-venture internationale.

Par Elisabeth Beck-Gernsheim, enseignante de sociologie à l’Université d’Erlangen-Nuremberg.  Traduit de l’allemand par Fabienne Bogadi.