Un développement sans limites des monnaies virtuelles est peu probable

Aujourd’hui, l’encours des cryptomonnaies atteint 300 milliards de dollars, dont près de 170 milliards pour le bitcoin. Avant d’évoquer son avenir, essayons de définir ce qu’est le bitcoin. Un actif financier ? Bien sûr que non, puisqu’il ne délivre en soi ni dividendes ni intérêts. Il n’est donc pas valorisable comme peut l’être un actif financier.

Est-ce alors une monnaie, dans ses trois fonctions traditionnelles (réserve de valeur, unité de compte, instrument de transaction) ? Non, du moins pas encore, car il est possible de le refuser en paiement dans la plupart des pays. Dit autrement, il n’a pas de cours légal. De plus, il n’est pas assorti d’une garantie légale de remboursement. Il n’y a, en particulier, aucune structure publique de nature à garantir la sécurité des coffres-forts électroniques.

De la même façon, la convertibilité des bitcoins dans des monnaies officielles n’est absolument pas garantie par quelque organisme centralisé. Aujourd’hui, ce processus ne peut se réaliser que dans la mesure où d’autres utilisateurs désirent acquérir des bitcoins. Sa forte volatilité l’empêche en l’état de tenir le rôle de réserve de valeur et d’unité de compte. Rappelons qu’en dépit de son envolée tendancielle, le bitcoin a aussi connu des krachs ponctuels (– 85 %, par exemple, en novembre 2013).

Valeur multipliée par 30 000

Peut-on alors comparer le bitcoin à l’or – qui n’a, il est vrai, qu’une utilité économique réduite ? C’est un argument fréquemment utilisé par les partisans du bitcoin (qui parlent d’« or numérique »), soulignant par exemple certaines similitudes (actif dissocié de tout risque émetteur, absence de nationalité, actif dissocié de tout passif…).

Tout cela n’est pas faux, mais ce qui fait la force de l’or est la convention humaine multimillénaire qui a justifié jusqu’à présent son utilisation (le bitcoin n’a qu’à peine neuf ans) et qui s’appuie sur des propriétés spécifiques du métal jaune : caractère inaltérable, infalsifiable, reconnaissable…, illustrant ainsi que « la valeur n’existe pas en dehors de la conscience de l’homme » (Carl Menger, 1840-1921).

Pourquoi la valeur du bitcoin a-t-elle été multipliée par 30 000 depuis début 2011 ? Outre sa dimension purement opportuniste et spéculative, cette explosion est fondée sur le pari qu’un nombre croissant d’utilisateurs vont immanquablement utiliser le bitcoin dans le futur, du fait de ses propriétés innovantes (système décentralisé sur Internet, anonymat, instantanéité des transactions…).

Il y a pourtant aujourd’hui d’indéniables soupçons de bulle concernant le bitcoin. Outre l’explosion de sa valeur face à une utilité encore incertaine, soulignons que sa rareté est artificiellement organisée par le système algorithmique mathématique et cryptographique.

0,37 % du PIB mondial

S’agissant des monnaies virtuelles en général, le risque principal concernant leur valeur repose sur une possible régulation publique et/ou fiscale contraignante. Pour l’instant, ce risque semble éloigné, dans la mesure où le poids total des cryptomonnaies ne représente en effet que 0,5 % de la capitalisation boursière mondiale (dont 0,3 % pour le seul bitcoin) et 0,37 % du PIB mondial (0,21 % pour le bitcoin). D’où l’absence de risque systémique immédiat.

Mais les velléités de régulation pourraient s’accroître à mesure de leur expansion et/ou si l’on révélait que les monnaies virtuelles constituent un support croissant d’opérations de blanchiment ou de fraude.

L’histoire montre qu’il vaut mieux agir de façon préventive, avant que le processus n’atteigne précisément une dimension systémique. Ajoutons à cela les avertissements récents de plusieurs prix Nobel d’économie (Joseph Stiglitz, Jean Tirole, Robert Shiller) à l’encontre du bitcoin.

D’une manière générale, un développement sans limites des monnaies virtuelles est peu probable. La régulation monétaire (la politique monétaire proprement dite, mais aussi la sécurité des systèmes de règlement et de paiement, le contrôle du caractère licite des opérations, les garanties apportées aux déposants…) et la stabilité financière sont et resteront avant tout des biens publics.

Par Jean-Pierre Petit, Economiste et président de la société de conseil Les Cahiers verts de l'économie.

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