Un Erasmus pour les jeunes apprentis européens

La situation de nombreux jeunes Européens est alarmante. Cinq millions d’entre eux sont à la recherche d’un emploi, soit un jeune actif sur quatre. Dans certains pays, la proportion s’élève même à un jeune actif sur deux. Le drame d’une génération sacrifiée se dessine.

Des initiatives ont été lancées en Europe. Mais leur bilan est, à ce jour, décevant. La plupart viennent en appui d’initiatives qui restent nationales – c’est notamment le cas de la « garantie pour la jeunesse » et des 6,4 milliards d’euros alloués à la lutte contre le chômage des jeunes. D’autres initiatives visent à encourager la mobilité, comme Ton premier emploi Eures (European Employment Services). Bonne orientation, mais le mouvement est trop timide, et certainement pas de nature – dans sa modestie comme dans ses mécanismes – à influer de manière significative sur le niveau du chômage des jeunes.

La mobilité est pourtant le cœur de métier de l’Union européenne (UE). Grâce au programme Erasmus, plus de 3 millions d’étudiants ont pu, depuis 1987, suivre une partie de leurs études dans une université d’un autre Etat membre. Ce que l’Europe a su faire pour ses futurs diplômés de l’enseignement supérieur, elle peut et doit le faire aujourd’hui pour ses jeunes les moins qualifiés qui sont les plus touchés par le chômage. La mobilité peut être un levier d’action en faveur de la qualification et de l’accès à l’emploi des jeunes.

Nous proposons que les dirigeants européens mettent en place d’urgence un nouveau programme de mobilité professionnelle – Erasmus Pro – qui permettra, d’ici à 2020, à un million de jeunes Européens d’acquérir une qualification professionnelle dans un autre pays de l’Union. Les jeunes concernés seront reçus dans un centre de formation et dans une entreprise dans le pays d’accueil pour une période de deux à trois ans. Cette initiative s’ajouterait aux réformes nationales indispensables pour développer l’apprentissage à l’intérieur de chaque pays, notamment en France et dans le sud de l’Europe.

Coût mensuel de 800 euros

Face à l’urgence du défi à relever, la mise en œuvre du programme doit être rapide, simple et directe. Il faut susciter chez les jeunes la volonté de faire partie de ce « million » de jeunes apprentis en mobilité ; et il est indispensable que les entreprises se sentent impliquées dans cette dynamique.

Le programme Erasmus Pro doit offrir aux jeunes qui souhaitent réaliser une formation en apprentissage dans un autre pays les possibilités suivantes : accès aux offres disponibles à travers l’UE (grâce au réseau Eures et au réseau des agences nationales pour l’emploi) ; couverture des frais de mobilité et des coûts de formation linguistique ; accompagnement dans le pays d’accueil, grâce aux « organismes porteurs de projet » – entreprises ou centres de formation – qui aident des groupes de jeunes apprentis européens.

Pour inciter les entreprises à s’engager dans ce programme de qualification transfrontière, le programme Erasmus Pro doit également prévoir une participation au salaire versé à l’apprenti européen.

La mise en place de ce programme impliquerait pour l’UE un coût mensuel par jeune de l’ordre de 800 euros (variable selon le niveau de vie et le niveau de rémunération des apprentis des différentes régions européennes), à répartir entre l’aide accordée au jeune et l’incitation financière à l’entreprise. Pour permettre à 200 000 jeunes par an de bénéficier de ce parcours qualifiant dans un autre Etat membre, l’UE devrait ainsi mobiliser un budget annuel de l’ordre de 5 milliards d’euros (coût moyen de 20 000 à 30 000 euros par jeune, selon la durée de l’apprentissage).

Effort à la portée de l’UE

Cet effort est à la portée de l’UE. Le coût de l’action doit d’ailleurs être rapporté au coût de l’inaction : une étude récente estime que le coût des jeunes sans emploi et ne suivant ni études ni formation au sein de l’UE a dépassé 150 milliards d’euros en 2011. S’ajoutent à ces pertes les coûts à moyen et à long terme du chômage, tant pour l’économie que pour la société.

Erasmus Pro apporte des avantages coopératifs : le chômage des jeunes diminue ; le capital humain européen est valorisé ; l’intégration européenne progresse. Le programme Erasmus Pro doit toutefois prévoir des dispositions qui encouragent le jeune à maintenir le lien avec son pays d’origine afin d’augmenter les chances de son retour à la fin de sa formation. Chaque pays bénéficiera ainsi de la compétence, de la langue étrangère et de la culture européenne acquises par ses jeunes « Erasmus Pro ».

Pour garantir cette mobilité circulaire des jeunes, l’UE doit également faire avancer deux chantiers européens : la portabilité des droits sociaux ; la reconnaissance mutuelle des diplômes et qualifications, que ce soit de jure ou de facto. Un jeune apprenti européen doit avoir la garantie que sa qualification sera reconnue dans l’ensemble de l’UE.

La gravité de la situation appelle à une action rapide et à un consensus au plus haut niveau des institutions européennes. Dans des circonstances historiques particulières, l’UE a déjà su faire preuve d’une capacité d’action rapide et mettre en place les outils indispensables à l’issue de procédures exceptionnelles. Nous sommes dans une situation de ce genre. La génération perdue n’attendra pas indéfiniment.

Jean-Michel Baer, Jacques Delors, Henrik Enderlein, Sofia Fernandes, Pascal Lamy, Enrico Letta, François Villeroy de Galhau, Antonio Vitorino (membres du groupe de travail sur l’emploi des jeunes de l’Institut Jacques Delors).

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