Un fonds d’épargne européen

Un budget de la zone euro voté par un Parlement de la zone euro et exécuté par un ministre des finances de la zone euro pour financer des biens communs et disposer d’une capacité d’investissement face aux chocs économiques : telle est l’ambition qu’Emmanuel Macron a formulée dans son programme présidentiel avant de la renouveler, comme président de la République, dans les discours d’Athènes et de la Sorbonne.

Pourtant, si les chefs d’Etat et de gouvernement se sont accordés pour définir, fin juin, une feuille de route pour l’union monétaire, il est peu probable que la réforme institutionnelle voulue par le président français en fasse partie. A l’incertitude politique italienne s’ajoutent, en effet, le scepticisme de l’Allemagne et la franche opposition des Etats du Nord.

Dans ce contexte, il est tentant d’imaginer une proposition alternative susceptible de susciter un plus large consensus, tout en satisfaisant des objectifs similaires. Ainsi, pourquoi ne pas créer une capacité d’investissement spécifique à la zone euro, mais de nature non budgétaire, en faisant appel à l’épargnant plutôt qu’au contribuable ?

Pour cela, un « livret d’intérêt général » européen pourrait être proposé aux ménages dans toutes les banques commerciales de la zone euro. Les sommes récoltées, garanties et défiscalisées, viendraient alimenter un fonds d’épargne de la zone euro, dont la gestion serait confiée à la Banque européenne d’investissement (BEI).

Ce fonds placerait une partie de ses ressources sur les marchés financiers pour assurer la liquidité indispensable à la gestion d’une épargne à vue, tandis que l’autre partie servirait à octroyer des prêts longs aux Etats membres, collectivités locales et organisations privées pour financer des projets dont le rendement social est supérieur au rendement privé (infrastructures de communication, santé, sécurité, transition énergétique, etc.).

Capacité de financement

L’équilibre économique du fonds garantirait d’une part la rémunération des épargnants à un taux attractif, d’autre part celle des réseaux bancaires pour la fourniture d’un service d’intérêt économique général.

Un tel système d’intermédiation entre l’épargne populaire et le financement de projets d’intérêt général n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il en existe un en France depuis 1945. La majorité des dépôts placés sur les livrets réglementés (Livrets A, LDD et LEP) sont en effet centralisés dans une entité de la Caisse des dépôts dont la principale vocation est de financer la construction et l’entretien de logements sociaux.

L’Italie connaît un système semblable. L’épargne dite « postale » est collectée par la poste italienne via son réseau national d’agences, puis transférée à l’équivalent de notre Caisse des dépôts, la Cassa depositi e prestiti, qui joue le rôle d’investisseur stratégique pour le compte de l’Etat. Comme l’attestent l’attractivité de ces produits auprès des épargnants et les performances des institutions financières qui les gèrent, ces modèles de financement ont démontré leur viabilité.

Un tel fonds d’épargne de la zone euro remplirait les principaux objectifs fixés par le président de la République au budget de la zone euro en créant une capacité de financement d’investissements communs à la fois significative et contra-cyclique.

Aucun impôt supplémentaire

Entre 900 et 1 300 milliards d’euros de prêts pourraient être octroyés si cette épargne européenne rencontrait un succès proportionnel à celui de ses équivalents actuels en France et en Italie, soit trois à quatre fois l’encours actuel des prêts BEI dans la zone euro, ou encore la totalité du budget de l’Union européenne sur la période 2014-2020.

Sur le plan économique, ce fonds serait un meilleur outil de stimulation de la demande qu’un budget d’investissement de la zone euro, car il s’affranchirait des délais propres à l’exercice budgétaire. Grâce aux incitations de son modèle économique et à l’expertise BEI, il garantirait également plus de rigueur dans la sélection et plus de discipline dans la gestion des investissements.

Sur le terrain politique, sa mise en place ne serait pas conditionnée à une réforme institutionnelle d’envergure, l’Eurogroupe pouvant s’occuper de la définition des secteurs d’investissement prioritaires, la BEI de la gestion, et le Parlement européen du contrôle par l’entremise d’une commission spécialisée. En outre, il n’induirait pas de transferts interbudgétaires et ne reposerait sur aucun impôt supplémentaire.

Enfin, en associant intégration européenne, rémunération et protection de l’épargne, il contribuerait à renforcer ou créer ce sentiment d’appartenance à un espace commun que les europhiles peinent tant à diffuser.

Le fonds d’épargne de la zone euro n’est pas sans limites, et gagnerait à être complété par une capacité proprement budgétaire. Mais les dirigeants européens doivent apporter rapidement des solutions pour renforcer l’union monétaire.

Par Paul-Adrien Hyppolite, économiste, ingénieur du corps des Mines.

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