Un iftar chez l’Oncle Sam

Le menu d’iftar à la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis. Credit Akram Belkaïd
Le menu d’iftar à la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis. Credit Akram Belkaïd

Le 8 juin, j’ai été convié à un repas de rupture du jeûne à la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis. Ce n’est pas la première fois que je participe à un iftar rue du Faubourg-Saint-Honoré, en l’Hôtel de Pontalba (du nom d’une baronne de la Nouvelle-Orléans qui le fit construire au milieu du XIXe siècle). Je m’y rends toujours avec un certain intérêt pour ce que je vais voir, entendre et, accessoirement, manger. Sur la centaine d’invités ou plus — le chiffre varie selon les années — je croise des amis perdus de vue et d’autres que je ne revois qu’en cet endroit, et je fais toujours à ma table la connaissance de deux ou trois personnes – universitaires, artistes ou entrepreneurs — qu’il ne m’aurait jamais été donné de croiser ailleurs.

Tout le monde ou presque appartient à la «communauté» — ou plutôt, aux communautés — de confession ou de culture musulmane. Des représentants d’autres cultes sont aussi présents, signe de l’engagement oecuménique des maîtres des lieux. Certains jeûnent, d’autres pas, mais chacun devise tranquillement en attendant l’appel au maghrib, la prière du soir, qui est aussi le signal pour la rupture du jeûne. Quand l’heure dite arrive («At last!»), on commence par se sustenter autour d’une grande table où sont disposés dattes, fruits secs, eau, lait et jus divers. Dans une pièce à côté, des tapis ont été déroulés pour accueillir celles et ceux qui souhaitent prier avant de rejoindre la grande salle à manger.

Entendre un dignitaire de la mosquée de Paris appeler à la prière en plein 8e arrondissement, sous les boiseries et, surtout, à quelques mètres du palais de l’Elysée me fait toujours sourire. Laïcité et islamophobie ambiante obligent, voilà une scène qui ne pourrait avoir lieu dans un bâtiment de la République française. A supposer d’ailleurs que ladite République organise encore des iftars: la dernière fois que j’ai été convié à l’un d’eux, c’était au milieu des années 2000.

Philippe Douste-Blazy, le ministre des Affaires étrangères à l’époque, avait reçu jeûneurs et non-jeûneurs dans un salon du Quai d’Orsay. Pas d’adhan, l’appel à la prière, mais un discours où il fut beaucoup question de lutte contre le terrorisme. L’insistance fut telle, je me souviens, que plusieurs personnes à ma table s’en étaient agacées, l’une d’elle ayant même décidé d’aller, selon ses propres mots, «casser le jeûne» ailleurs.

Ecouter le discours lu par le maître des lieux est donc toujours instructif. En juin 2016, l’ambassadrice Jane D. Hartley — partie au début de cette année et dont on attend toujours le remplacement — avait insisté, peut-être un peu trop, sur les questions de tolérance et de dialogue interreligieux. Plus intéressant, elle avait instruit ses invités que c’est en 1805 que la Maison Blanche a tenu le premier iftar de ramadan, le président Thomas Jefferson souhaitant accueillir comme il se doit un envoyé diplomatique tunisien.

Cette année, la chargée d’affaires Uzra Zeya a fait sobre et court, ce qui lui a valu la reconnaissance de mes camarades de table. Aussi intéressant que soit le discours, il n’est jamais bon d’attendre trop longtemps après avoir jeûné près de dix-sept heures et encore moins pendant qu’est détaillée, comme par M. Douste-Blazy à l’époque, la géopolitique du malheur musulman.

Pour les curieux et les gourmets, voici quel fut le menu de notre dîner: Une harira (soupe de légume marocaine) puis un buffet où étaient disposés keftas aux herbes, couscous aux raisins, légumes variés, carottes à la chermoula (sauce à l’ail, poivre, paprika et cumin), salade d’oranges à la cannelle, des fruits divers et les inévitables pâtisseries orientales. Une nourriture assez agréable à absorber, suffisamment roborative pour calmer les crampes d’estomac mais plusieurs tons en dessous d’iftars précédents à la même adresse. Peut-être le signe concret des coupes budgétaires décidées par la nouvelle administration américaine.

J’ai évoqué la question avec un ami d’origine algérienne que je retrouve d’habitude à ce dîner. Cette fois-ci, il a fait défection, estimant qu’il en avait assez de n’être invité par l’ambassade qu’à cette seule occasion. Grand spécialiste en communication et lobbying, il convient que la diplomatie américaine fait de réels efforts en matière de soft power à l’égard des communautés européennes de confession ou de culture musulmane mais que l’exercice pratiqué depuis plus de dix années commence à trouver ses limites dans cet entre-soi confessionnel.

Qui sait, peut-être changera-t-il d’avis si, d’aventure et toute à sa mission oecuménique, l’ambassade arrive à convaincre quelques ministres de la République à prendre part à un iftar après avoir sagement écouté l’appel à la prière du coucher du soleil. Sinon, selon mes calculs, il lui faudra attendre l’an 2053 — la prochaine fois qu’un iftar pourrait coïncider avec la réception du 4 juillet, très courue à Paris et à laquelle peu de musulmans, hors corps diplomatique, sont habituellement conviés.

Akram Belkaïd, journaliste et écrivain, est l’auteur de Pleine lune sur Bagdad.

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