Un massacre à Lahore

Le 28 mai, à l’heure de la prière du vendredi, des kamikazes ont pu impunément tuer une centaine de musulmans lors de l’attaque de deux mosquées à Lahore. La police a laissé faire suivant la politique d’Islamabad qui ne cesse de pourchasser les minorités religieuses non sunnites, c’est-à-dire aussi les chiites, sans parler de la persécution des hindouistes et des chrétiens. Cette fois les victimes étaient des ahmadites, un courant pacifique et réformiste de l’islam déclaré hérétique en 1973 par l’Organisation de la conférence islamique (OCI), créée quatre ans plus tôt pour soi-disant «libérer Jérusalem».

Juste après ce carnage s’ouvrait à Genève la session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le jour même de l’opération israélienne contre des bateaux de sympathisants du Hamas, qui a causé neuf morts. Or, qui a été le premier à monter au créneau pour vilipender «l’entité sioniste»? Le représentant d’Islamabad, porte-parole attitré de l’OCI, trop content de l’aubaine pour faire l’impasse sur le massacre de Lahore qui a tout de même fait beaucoup plus de victimes dont le seul tort était de prier paisiblement dans des mosquées qui n’osent pas dire leur nom. A Zurich, la mosquée Mahmud, la première de Suisse et dont la photo avec son minaret a récemment fait le tour du monde, a été édifiée en 1963 par la communauté ahmadite (Ahmadiyya Muslim Jamaat) à laquelle les «vrais musulmans» contestent le droit de se réclamer de l’islam et de son prophète.

Qui a ensuite obtenu une réunion d’urgence et préparé, au nom de l’OCI et de la Ligue arabe, la résolution condamnant Israël et demandant la création d’une mission internationale d’enquête sur l’intervention contre la flottille? Le même Pakistan, toujours prompt à faire la leçon aux autres, tout en foulant systématiquement au pied la liberté religieuse et autres idéaux de l’ONU dont son président Asif Ali Zardari s’est gargarisé devant l’Assemblée générale en septembre dernier.

Comme cela se fait de plus en plus souvent dans cette enceinte prétendument laïque, il avait commencé son intervention par «Assalam-o-Alaikum», alors que dans son pays l’usage de cette salutation de l’islam est jugé blasphématoire de la part de «non-musulmans» comme
sont désormais traités les ahmadites et même les chiites que les fondamentalistes sunnites tiennent pour de vulgaires kafirs (»infidèles»).

Déjà à l’origine du rapport Goldstone sur Gaza et de toutes les résolutions anti-israéliennes, c’est la République islamique du Pakistan qui vient une fois de plus de donner le ton à l’ONU, grâce à la «majorité automatique» constituée par les pays musulmans (17 sur 47 au Conseil des droits de l’homme) et leurs alliés de circonstance (Chine, Cuba, Russie…) qui imposent leur loi. Dès lors, quel crédit accorder à ces gesticulations et résolutions sans lendemain?

Pendant qu’à Genève le Conseil délibère, au Pakistan, les ahmadites pansent leurs plaies. Comme si le dernier carnage ne suffisait pas, des assaillants sont revenus à la charge le 1er juin en attaquant un hôpital où étaient soignés des rescapés des précédents attentats contre les mosquées, tuant douze personnes. Adoptant un profil bas, les officiels et même les médias pakistanais ont préféré se tenir à l’écart des funérailles des victimes de cette communauté mise au ban de la société. «Ne serait-ce qu’appeler un ahmadite mort un martyr est suffisant pour vous envoyer trois ans derrière les barreaux», a dit un politicien à l’agence PTI.

Marginalisés et désignés à la vindicte publique par les discriminations qui les frappent, ces parias de l’islam savent qu’il n’y aura pas d’enquête sur les récentes atrocités et ne se font pas d’illusion sur la justice de leur pays, mais ne crient pas vengeance et restent imperturbablement fidèles à leur credo de non-violence.

Les intérêts politiques étant ce qu’ils sont, le même ostracisme les dessert au Conseil de l’ONU censé défendre l’universalité des droits de l’homme. Selon le bon vieux principe «deux poids, deux mesures», les intervenants se sont évidemment focalisé sur l’attaque israélienne, sans la moindre allusion aux attentats de Lahore. Alors que l’on s’achemine vers une «mission Goldstone bis», par référence à la commission d’enquête sur Gaza présidée par le juge sud-africain, les victimes de Lahore comme bien d’autres oubliées à travers le monde et sacrifiées sur l’autel de la realpolitik peuvent toujours attendre que les Nations unies veuillent un jour se préoccuper de leur sort.

Pourtant, avant l’adoption le 2 juin de la résolution concoctée par Islamabad et demandant la mise en place d’une mission d’enquête internationale sur l’intervention militaire israélienne contre la flottille pour Gaza, la haut-commissaire aux droits de l’homme, Navi Pillay, avait déclaré:» Quand il y a des morts, il doit y avoir une enquête sérieuse et il faut établir les responsabilités.» Ce qui est vrai pour le Proche-Orient doit l’être aussi pour le Pakistan.

Jean-Claude Buhrer, ancien correspondant du «Monde» à l’ONU