Le prix Nobel d’économie a été attribué cette année à Angus Deaton, un Britannique qui a fait l’essentiel de sa carrière à l’Université Princeton aux Etats-Unis. Dans la profession, il est connu pour ses travaux sur la consommation des ménages, ce qui lui a valu sa récompense. Mais après l’annonce du prix, c’est une autre partie de ses travaux, l’aide au développement, qui a été mise en exergue. C’est un sujet plus concret, sur lequel il a pris une position en pointe et dont il parle volontiers car c’est l’objet de son travail à présent. De la consommation, il est passé aux dépenses de santé, puis à l’offre de soins. Cela l’a conduit à se pencher sur la pauvreté, en particulier en Inde, et donc tout naturellement sur le sous-développement. Il a adopté l’analyse prépondérante parmi les spécialistes, dont je ne fais pas partie mais que j’essaie de comprendre.
L’idée est que le sous-développement est avant tout dû à la corruption. Lorsqu’un gouvernement a une préoccupation majeure, l’accumulation de richesses par ses membres, leurs amis et leurs familles, il ne remplit pas son rôle de soutien à la croissance. L’absence d’un cadre juridique de l’activité économique ne permet pas aux entrepreneurs de fonctionner, du moins en dehors des mécanismes de corruption. Le gouvernement ne fait rien non plus pour l’éducation et la santé, reconnues comme des pré-conditions au développement économique. Comment, en effet, un pays peut-il s’insérer dans l’économie mondiale si une part importante de la population est analphabète? Pourquoi dépenser de l’argent pour la formation quand l’espérance de vie est faible? Si l’enrichissement est le but principal des dirigeants, ce qui compte est de se maintenir au pouvoir aussi longtemps que possible face aux appétits concurrents. Cela signifie que, pour eux, la démocratie est une bien mauvaise idée et que l’armée, instrument de survie politique, est l’objet de toutes les attentions. Cela signifie aussi qu’il faut piller au plus vite, avant de perdre le pouvoir.
L’aide au développement aide-t-elle au développement?
Or l’aide au développement est traditionnellement attribuée aux Etats. Elle fournit des ressources à des gouvernements corrompus. Il n’est pas surprenant que la plupart des études aboutissent à la conclusion déprimante que l’aide au développement n’aide pas au développement. Angus Deaton s’est demandé si la solution n’est pas de court-circuiter les gouvernements et de fournir l’aide directement aux populations. On sait bien que des sommes très modestes peuvent avoir des effets spectaculaires en matière de santé ou d’agriculture lorsqu’elles visent directement ceux qui en ont besoin et qui savent comment en tirer le meilleur parti. Mais il va plus loin. Sa conclusion est que ce type d’aide a des effets positifs à court terme mais négatifs à long terme. Par exemple, il observe qu’un système de santé ne peut pas être géré de manière permanente depuis l’étranger. Le gouvernement local n’ayant aucune raison de dépenser de l’argent si le service est fourni par l’étranger, aucun système de santé n’est mis en place et le sous-développement perdure. Progrès nul.
Sa recommandation est tout aussi radicale. Il demande que les gouvernements des pays avancés et les organisations internationales cessent leurs aides traditionnelles et la bonne conscience qui vient avec. Il suggère des actions politiquement beaucoup plus délicates: fin des ventes d’armes, ouverture au commerce dans des domaines aussi sensibles que l’agriculture, développement de médicaments pour traiter les maladies des pauvres et, plus généralement, arrêt de la complaisance à l’égard de régimes kleptomanes. Conclusion logique, mais ô combien délicate, car elle vise des acteurs puissants dans les pays avancés. Il s’agit de s’attaquer au commerce des armes, au protectionnisme proverbial de l’agriculture ou encore à des intérêts géopolitiques plus ou moins avoués.
Charles Wypłosz, Professeur, Economie internationale (Graduate Institute, Geneva).