Un « pacte salarial européen » contre le chômage

Malgré les énormes émissions de liquidités de la Banque centrale européenne (et des taux d’intérêt négatifs), les prix n’augmentent plus en Europe. Emploi et salaires stagnent ou régressent dans de larges parties de l’Union européenne (UE) : en France, l’emploi de 2015 dépasse celui de 2007 seulement de 0,4 % !

La déflation menace et le problème du chômage est toujours très grave dans de nombreux pays. Les liquidités émises n’irriguent pas la consommation, l’investissement et le système productif. Elles nourrissent seulement des bulles spéculatives.

Au début des années 1970, tout étudiant en économie apprenait que si les salaires n’augmentent pas, le produit intérieur brut (PIB) n’augmente pas non plus, car les salaires représentent les deux-tiers du PIB. Il apprenait aussi qu’un pays qui a un déficit de son commerce extérieur doit dévaluer sa monnaie, de manière à combler ce déficit dont l’effet est négatif sur la croissance.

Ces idées simples et robustes ont été trop oubliées en Europe. Elles sont maintenant présentées comme désuètes ; à tort, car l’insuffisance de la demande est toujours le problème central. Keynes est resté très moderne.

Un pays comme la France ne peut augmenter sa croissance et son emploi s’il n’augmente pas ses salaires : à long terme, le taux de croissance du salaire réel est à peu près identique à celui du PIB en volume. Si les salaires et la demande stagnent, l’emploi ne peut s’accroître, sauf endettement public supplémentaire.

Les salaires doivent augmenter

Dans le contexte keynésien de l’après-guerre, des procédures avaient été mises en place pour que les salaires augmentent dans les différentes branches, en relation avec la productivité du travail, à peu près au rythme du PIB. Tout ce système institutionnel de stimulation de la demande a été progressivement démantelé.

Certains veulent aller plus loin dans ce démantèlement, d’un côté par la loi Travail (qui précarise l’emploi), de l’autre par une diminution de 300 000 du nombre de fonctionnaires (Nicolas Sarkozy) ; veut-on vraiment, dans le contexte d’aujourd’hui, diminuer le nombre de juges, de policiers, d’enseignants et d’éducateurs ?

Les politiques d’émission de liquidités n’arrivent pas à stimuler l’emploi, et la politique monétaire a ses limites. La politique salariale est oubliée. Pourtant l’UE est une zone idéale pour une telle politique, par la taille de son économie et sa relative indépendance vis-à-vis du reste du monde : 63 % des importations des pays de l’UE sont intracommunautaires. Les salaires doivent augmenter en Europe dans le cadre d’un pacte salarial concerté. Ce pacte tiendrait compte des différences démographiques entre les pays.

L’Union pourrait fixer un objectif minimal d’augmentation du volume de la masse salariale, 2,5 % par an, chiffre auquel s’ajouterait le taux d’augmentation de la population. La masse salariale en volume devrait par exemple augmenter de 3 % dans un pays où la population s’accroît de 0,5 % par an. Un système de sanctions serait mis en place pour les pays dans lesquels la masse salariale n’augmente pas assez.

Pouvoir dévaluer par rapport à l’euro

On reviendrait à une logique de croissance et de création d’emplois. L’augmentation de la masse salariale provoquerait celle de l’investissement, faciliterait l’équilibrage des budgets, autoriserait à long terme la réduction de l’endettement public. Le pacte salarial pourrait être décliné de différentes façons, conduisant dans certains pays plutôt à une augmentation du niveau des salaires, et dans d’autres à une augmentation de l’emploi (ou à une diminution de la durée du travail).

Ce pacte salarial ne peut être mis en œuvre dans le cadre actuel de l’euro qui, en retirant toute marge de manœuvre monétaire aux États nationaux, incite les pays en difficulté à peser négativement sur les salaires. Les pays dont les échanges extérieurs sont structurellement déficitaires (45,7 milliards de déficit en France en 2015, soit 2,1 % du PIB) doivent pouvoir dévaluer par rapport à l’euro.

L’euro resterait la monnaie de certains pays et un cadre de référence pour les autres. Des pays très excédentaires pourraient réévaluer par rapport à l’euro (Allemagne). La France et la Grèce se retrouveraient avec un euro-franc et un euro-drachme, une monnaie ayant perdu de sa valeur mais permettant d’équilibrer les échanges extérieurs et d’augmenter la production.

Après-guerre et jusque dans les années 1980, la monnaie de la France était régulièrement dévaluée par rapport à celle de l’Allemagne, et le pays ne s’en portait pas mal. Les milieux financiers s’opposeront à cette dévalorisation de la monnaie ; la plus grande partie de la population y gagnera.

C’est au gouvernement de la France, si concernée par le chômage, qu’il revient de proposer ce pacte salarial, et de le mettre en œuvre de façon séparée si c’est impossible en commun.

Pierre Le Masne, Maître de conférences en économie à l’université de Poitiers et chercheur au Centre de recherche sur l’intégration économique et financière.

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