Un plan d'austérité à l'opposé des besoins de la Grèce et de l'Europe

Le plan d'austérité que le Parlement grec a voté (hausse des impôts, en particulier de la TVA, et baisse de nombreuses catégories de revenus des ménages), présenté par le Premier ministre comme une "nouvelle odyssée" au peuple grec, a toutes les chances d'échouer et la situation de s'aggraver. La certitude d'échec de ce plan réside dans la récession inévitable qu'il va générer du fait de la baisse très prévisible d'activités et ainsi de recettes fiscales. Un véritable choc donc pour l'économie grecque vu le délai très court que se donne le gouvernement de ce pays pour réduire son déficit.

Il est difficile de croire que les responsables politiques grecs ignorent ce risque et, pourtant, rien n'indique, tout au contraire, qu'ils sont prêts à renoncer à ce plan. Nous pensons que l'explication d'une telle attitude réside dans le véritable enjeu du plan qui pourrait être résumé ainsi : "De gauche comme de droite, les analystes s'accordent aujourd'hui sur la nécessité d'une cure de libéralisme" (Les Echos du 16 mars). Cette cure s'appuierait sur une réforme en profondeur de "l'effroyable bazar" que serait l'Etat grec et, surtout, sur la libéralisation de la "longue liste" des secteurs d'activité où la concurrence est extrêmement encadrée.

La privatisation des services publics (dont la désorganisation et le manque de moyens auront été le préalable) va se généraliser, le marché du travail va être dérégulé. Le recul de la dépense publique va ouvrir des espaces plus importants aux marchés dans des domaines qui sont ceux des besoins collectifs (santé, éducation, transports, etc.). Quant à la dérégulation du marché du travail, celle-ci sera synonyme de mise en concurrence accrue de ceux qui travaillent ou sont à la recherche d'emploi. Il est donc à craindre que cette concurrence généralisée sur un marché du travail en contraction ne soit fortement destructrice du lien social. Ici réside sans doute le plus grave risque des mesures prises par le gouvernement grec car nul ne peut exclure que les tensions sur le marché du travail ne dégénèrent en heurts violents entre personnes à la recherche d'un emploi.

LA GRÈCE COMME LABORATOIRE DE LA DÉFLATION

Les mesures prises par le gouvernement grec sont assimilables à une "dévaluation interne". Formulé autrement, nous pouvons considérer que tout se passe comme si la Grèce faisait fonction aujourd'hui de véritable laboratoire européen de la déflation.

Dans cette perspective, il convient de relever que la doctrine du FMI est en passe de changer. Après avoir suggéré que les Etats interviennent pour soutenir la croissance et venir au secours du secteur financier (en absorbant une partie de ses risques), le FMI considère aujourd'hui que la demande est plus soutenue et que le risque a changé de nature, se situant désormais du côté des Etats. Il leur recommande donc de se concentrer sur les nécessaires ajustements budgétaires… L'heure semble donc avoir sonné de faire payer aux salariés mais aussi aux contribuables et aux usagers des services publics le coût de la crise. Surtout, le moment semble être arrivé de bouleverser les équilibres sociaux, en particulier ceux liés à l'âge des départs à la retraite.

La ministre française de l'Economie, interrogée pour savoir si le plan d'austérité grec devait servir de modèle, a répondu (Le Monde du 4 mai) : "Je ne dis évidemment pas cela mais le risque retraite, au même titre que les autres dépenses sociales, est un poste extrêmement important que l'on doit arriver à contrôler"… Quant au directeur général du FMI, il s'est dit "admiratif de l'extrême rigueur choisie à Athènes" (Le Monde du 4 mai). En d'autres termes, tout se passe comme si, alors que la crise actuelle a pu être analysée comme ayant pour cause un excès de libéralisme, l'issue recherchée désormais était… encore plus de libéralisme !

LES RÉPONSES À APPORTER

Aujourd'hui, les Grecs sont appelés à de très importants sacrifices, mais ces sacrifices sont vides de sens, ou plutôt, ces sacrifices risquent d'être détournés sous forme de prélèvements au bénéfice de la finance. Ce dont la Grèce et les autres pays européens ont besoin, c'est à la fois de dynamiser leurs activités productives autrement qu'en diminuant leurs coûts et de réinventer le lien social et la démocratie.

La Grèce est trop dépendante du tourisme, des activités maritimes pas toujours respectueuses des hommes et de la nature, voire parfois criminelles. La Grèce est trop dépendante aussi de ses importations. Ses activités productives ont été négligées. Certains économistes ou hommes politiques ont bien suggéré récemment que la Grèce souffrait d'un handicap de compétitivité lié au sous-développement de ses activités productives. Mais l'erreur majeure est de considérer que cet handicap réside dans le niveau des coûts. La compétitivité d'une économie comme celle d'une entreprise dépend certes du niveau de ses coûts et de ses prix par rapport à ceux de ses concurrents mais une compétitivité durable est principalement fonction de la capacité à proposer des produits innovants, adaptés à la demande. Cette compétitivité "hors coûts" dépend principalement des compétences individuelles et collectives, de la qualité des réseaux qui peuvent structurer le tissu productif, de la confiance entre acteurs privés et publics. Un engagement véritable dans l'économie de la connaissance est indispensable et ne peut se limiter au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication. L'éducation, la formation, l'innovation (plutôt que la baisse des coûts) doivent être élevées au rang de priorité nationale.

Comme les autres pays européens, la Grèce a besoin de davantage de démocratie : des citoyens mieux formés participent mieux à la vie de la cité et prennent soin de la chose publique, aujourd'hui négligée. Au lieu de considérer l'impôt comme un prélèvement inutile, celui-ci doit être réhabilité et doit contribuer tout à la fois à assurer de meilleurs services collectifs et davantage d'équité. Les Grecs doivent réinventer leur lien social, réapprendre à être attentifs aux biens publics et à leur patrimoine (notamment leur patrimoine naturel sévèrement négligé) et mettre en œuvre un véritable projet de développement.

LES GRECS DOIVENT POUVOIR CHOISIR LEUR AVENIR

Faute de pouvoir dévaluer sa monnaie, la Grèce procède aujourd'hui à une dévaluation "interne" consistant en une baisse généralisée des salaires et du pouvoir d'achat de la population (en particulier des retraités). Le risque est clairement celui d'une récession sans fin et, au delà, celui d'une spirale conduisant le pays au sous-développement. La voie qui est proposée ici est celle d'une réinvention du lien social et démocratique, de la conception d'un projet de développement réhabilitant la chose publique et le développement des activités productives. La Grèce pourra alors progressivement retrouver le chemin de la croissance et réduire alors son déficit et l'endettement public sans diminution de la dépense publique ni hausse de la pression fiscale.

Gabriel Colletis, professeur à l'université Toulouse-I.