Un renoncement qui pourrait amener le Vatican à sortir du XIXe siècle

En renonçant à sa charge d'évêque de Rome, Benoît XVI rend de l'humanité à la papauté. En même temps, il met en cause la sacralité de la fonction, sacralité qui s'est accrue au fur et à mesure que le catholicisme perdait de l'influence dans des sociétés qu'il avait contribué à façonner.

Décidément, le 11 février n'est pas une date comme les autres dans l'histoire de la papauté contemporaine. En 1858, la Vierge serait apparue ce jour-là pour la première fois à Bernadette Soubirous dans une grotte proche de Lourdes. "Je suis l'Immaculée Conception"...

Le propos "miraculeux" de la Dame tombe à point pour conforter Pie IX. Son combat contre les idées modernes, et pour l'affirmation de son autorité, était passé en 1854 par la proclamation du dogme de la conception de Marie sans le péché originel.

Le 11 février 1929, le cardinal Gasparri, secrétaire d'Etat de Pie XI, signe avec Mussolini les accords dits "du Latran", qui créent l'Etat de la Cité du Vatican.

Le pape retrouve une souveraineté temporelle (sur 44 hectares) qu'il avait perdue en 1870 avec l'achèvement de l'unité de l'Italie et la fin des Etats pontificaux, ce fief que la tradition faisait remonter à Pépin le Bref.

Le 11 février 2013, Benoît XVI renonce. Coïncidences hasardeuses des calendriers ? Il est permis d'en douter.

CONCENTRATION DE L'AUTORITÉ DOCTRINALE

La centralisation du gouvernement de l'Eglise et l'hypertrophie actuelle de la figure papale ne sont pas aussi anciennes que le christianisme lui-même. Ce sont plutôt un héritage du XIXe siècle européen.

Au fur et à mesure que les institutions politiques du Vieux Continent se sont émancipées de l'emprise de la religion - la fameuse sécularisation -, la concentration de l'autorité doctrinale, réglementaire, administrative, entre les mains du pontife romain n'a fait que se renforcer.

Pour atteindre sans doute son apogée sous Pie XII, dans les années 1950. Le concile Vatican II a semblé marquer un coup d'arrêt à ce mouvement. Avec cependant de nombreux malentendus.

"L'internationalisation" de la Curie s'est révélée plus lente et compliquée que prévu. Et la figure de Jean Paul II, portée par la mondialisation des moyens de communication, n'a fait qu'accentuer à nouveau la convergence des regards vers la place Saint-Pierre.

La renonciation de Benoît XVI semble cette fois porter un coup d'arrêt à ce processus. Le prochain pape devra inventer une autre façon de gouverner, ne serait-ce que parce qu'il aura un temps un prédécesseur encore vivant, et que les contours de sa légitimité s'en trouveront modifiés. Comment ? Là s'arrête la spéculation.

C'est qu'entre l'Eglise largement européenne de Pie IX et l'Europe déchristianisée de Benoît XVI, les centres de gravité du catholicisme se sont déplacés.

Le renouveau du mouvement missionnaire des XIXe et XXe siècles, lié en partie à l'origine aux impérialismes européens, a multiplié les communautés sur tous les continents. La démographie a fait le reste.

DEMANDER UN CONCILE VATICAN III

A peu près un catholique sur huit d'aujourd'hui est Philippin. La première province des jésuites se trouve en Inde. L'Afrique sera peut-être le continent catholique de demain.

Des voix s'élèvent parfois pour demander un concile Vatican III. La réunion à Rome de près de 2 200 évêques au début des années 1960 pour Vatican II avait fait apparaître la difficulté d'organiser les délibérations d'une aussi vaste assemblée.

Il semble que cela ait été d'ailleurs une des raisons pour lesquelles le pape Paul VI ne souhaita pas une session supplémentaire, même si tous les sujets n'avaient pas été épuisés.

Les évêques sont désormais plus de 5 300. Les rassembler reviendrait à organiser une sorte de congrès du Parti communiste chinois. Et il est loin d'être sûr que tous les évêques conservateurs nommés par Benoît XVI et son prédécesseur souhaiteraient prolonger l'aggiornamento de Vatican II.

Par sa décision spectaculaire, loin de conforter l'image de théologien conformiste qui a souvent, et à tort, été donnée de lui, Benoît XVI pose une question politique à la papauté.

Il lui donne peut-être une véritable possibilité de sortir d'un XIXe siècle réactionnaire, au sens premier du terme, auquel la catholicité n'en finit pas d'être identifiée.

Il est amusant d'observer la façon dont les chefs d'Etat européens ont salué la renonciation du pape. Le mot "respect" revient dans tous les propos, à commencer par ceux de François Hollande.

Or, les relations entre papes et souverains sont loin d'avoir toujours été aussi courtoises.

SÉCULARISATION DU POUVOIR POLITIQUE

L'affrontement fondateur eut lieu entre Grégoire VII et l'empereur Henri IV de Germanie. Il s'agissait de savoir qui, du pape ou de l'empereur, conférerait l'investiture aux évêques.

Dans un premier temps, la querelle vit le succès de Grégoire VII, qui contraignit Henri IV à l'humiliation de Canossa (1077). Quelques années plus tard, cependant, Henri IV prenait sa revanche, et c'est Grégoire VII qui devait s'exiler et mourir à Salerne, où se trouve toujours sa sépulture.

A long terme, l'affirmation par Grégoire VII de l'autonomie et de la primauté du spirituel devait aboutir paradoxalement à toujours plus d'indépendance du temporel, et à la sécularisation du pouvoir politique.

En 1303, quand l'envoyé de Philippe le Bel mit un soufflet à ce vieux grigou de Boniface VIII, le pape en mourut. Le roi de France en profita pour "rapatrier" la papauté en Avignon et pour la mettre pendant soixante-dix ans sous sa coupe.

Plus près de nous, la République française a emprisonné Pie VI, qui mourut à Valence en 1799 ; puis Napoléon Bonaparte contraignit Pie VII à le couronner (1804) avant de le faire prisonnier à son tour.

Le pape est lui aussi un chef d'Etat, reçu comme tel lorsqu'il se rend dans un pays "étranger", et le pasteur spirituel de plus de 1 milliard de catholiques.

Souvent, l'image du gouvernant ternit la fonction du premier des évêques. Benoît XVI a insisté sur le fait qu'il renonçait d'abord à sa charge d'évêque de Rome, mettant par là même en avant le caractère collégial de la fonction qu'il a occupée.

Alors que le catholicisme n'a jamais été aussi universel, c'est peut-être une incitation à pousser l'Eglise pour qu'elle donne l'exemple de la sortie de l'ère des Etats-nations pour entrer de plain-pied dans une mondialisation qui est sa vocation et dont Benoît XVI a montré dans ses encycliques les dangers et les limites, mais aussi toutes les attentes qu'elle peut susciter.

Jean-Luc Pouthier, fondateur et conseiller de la rédaction du site Fait-religieux.com

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *