Un salaire minimum européen pour la renaissance de l’Europe sociale

Dans sa tribune «Pour une renaissance européenne» de lundi, Emmanuel Macron précise, de manière plus explicite que lors de son discours de la Sorbonne du 26 septembre, ce que doit être «l’Europe sociale» demain.

Le président de la République, dans son adresse en 22 langues, précise que l’Europe «doit porter un projet de convergence plus que de concurrence» au travers d’un «bouclier social garantissant la même rémunération sur le même lieu de travail, et un salaire minimum européen, adapté à chaque pays et discuté chaque année collectivement».

Les notions d’Europe sociale et de bouclier social restent des concepts largement en devenir mais ils constituent sans doute le plus grand défi européen de notre génération.

Le social est en fait l’apanage des Etats. En effet, les domaines de l’emploi, et donc du chômage, de même que les problématiques liées aux conditions de travail, à la formation professionnelle ou à la protection sociale ne relèvent pas de l’Union mais du niveau national. Le traité de Lisbonne de 2007 précise que les actions de l’Europe en la matière ne peuvent être que des mesures d’encouragement et de coordination qui revêtent un caractère complémentaire : «Elles servent à renforcer la coopération […] et non pas à harmoniser des systèmes nationaux».

Le salaire minimum européen pourrait être le projet social majeur de la prochaine législature européenne.

Caractère technocratique et libéral de l’Europe

Au sein de l’Union, le salaire minimum oscille entre 260 euros par mois en Bulgarie, 1 600 euros en Irlande, 2 000 euros au Luxembourg, la France se situant autour de 1 500 euros. Dix Etats comptent des salaires minimums inférieurs à 500 euros. Six des vingt-huit pays de l’UE n’ont pas instauré de salaire minimum national.

Cette situation est bien entendu le reflet des niveaux de vie dans chacun de ses pays. Et l’on pourrait attendre que la main invisible du marché conduise à une homogénéisation progressive. En ce cas, la convergence serait atteinte d’ici quelques siècles ! La construction européenne a été marquée par des choix volontaristes, des choix politiques au sens noble du terme, au nom d’une ambition commune. Instaurer un dispositif minimal commun sur les salaires serait un signe clair, vis-à-vis d’une opinion qui stigmatise le caractère technocratique et libéral de l’Europe.

Le développement des nationalismes et des populismes est – on le sait depuis les années 30 – lié aux frustrations et au sentiment de déclassement social qui frappent les classes moyennes. Tandis, que les élections européennes auront lieu dans trois mois, il était tant que les opinions se cristallisent non plus seulement sur l’immigration mais sur la pauvreté, le chômage et les inégalités. C’est un enseignement passionnant de la crise des gilets jaunes en France : les questions sociales reviennent au centre du débat.

Développer la valeur ajoutée des entreprises

Ainsi, une ambition claire pour les cinq prochaines années serait de fixer un salaire minimum s’établissant entre 40% et 50% du salaire médian de chaque pays, ceci afin de prendre en compte le décalage des niveaux de revenu. Sans quoi la concurrence sociale s’accroîtra entre les pays.

L’enjeu de l’Europe n’est pas d’entrer en compétition avec des coûts du travail 2, 5 ou 10 fois moins élevés sur d’autres continents. Il est plutôt de développer la valeur ajoutée produite par les entreprises, avec des salariés disposant d’un haut niveau de qualification, et de les répercuter sur les salaires.

En raisonnant à partir du salaire médian, ce serait une dizaine de pays qui devraient progressivement mettre en place ou augmenter leur salaire minimum, dans le respect de leur niveau global de développement.

D’autres mesures «sociales» seraient nécessaires, comme l’établissement d’un minimum vieillesse dans un continent qui connaîtra un taux de dépendance de 50% en 2050, ou bien encore un socle d’assurance chômage. Mais il s’agit d’abord d’engager une dynamique pour que notre génération refonde l’Europe sociale sur la base de propositions enfin concrètes.

L’Europe sociale est un grand défi pour renforcer la cohésion de notre communauté de citoyens et de l’Union

Par Nicolas Bourgeois, expert en politiques sociales et enseignant (ENA, université d’Angers).

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