« Un signal fort en matière de commerce électronique et de protection de la vie privée » venu du Canada

Il n’y a pas qu’à Bruxelles que l’on s’intéresse de près aux pratiques des géants de la Silicon Valley. A Ottawa, la Cour suprême du Canada s’est prononcée vendredi 23 juin sur la possibilité de poursuivre Facebook ailleurs qu’en Californie malgré ses conditions d’utilisation, et mercredi 28 juin sur les enjeux de désindexation sur le moteur de recherche Google.

L’importance de ces deux décisions dépasse les seules frontières canadiennes. En effet, elles touchent à un problème global, celui de la réglementation des activités en ligne, et pourraient avoir des répercussions sur les internautes du monde entier. Par ailleurs, c’est un signal fort du Canada en matière de commerce électronique et de protection de la vie privée.

La première affaire concerne le consentement en ligne des conditions d’utilisation. Ce type de « contrats électroniques » est à la base de droits et obligations vis-à-vis des prestataires de services, et peuvent avoir de sérieuses conséquences. C’est le constat qu’a pu faire une utilisatrice de Facebook : les conditions lui imposaient d’intenter une action devant les tribunaux californiens alors qu’elle résidait en Colombie britannique.

C’est dans ce contexte que la Cour suprême du Canada devait se prononcer : faut-il s’en tenir aux conditions d’utilisation et obliger les utilisateurs à intenter des recours en Californie plutôt que dans leurs propres juridictions ? Non, a répondu la plus haute instance – quatre juges contre trois.

Processus judiciaire

Parmi d’autres raisons, la majorité des juges notent que le consommateur, « simple citoyen », n’a pratiquement pas d’autre choix que d’accepter les conditions de Facebook, « multinationale présente dans des dizaines de pays ». Il y aurait alors une « inégalité flagrante du pouvoir de négociation entre les parties ».

De plus, cette affaire fait intervenir les droits des utilisateurs à la protection de leur vie privée, quasi constitutionnels en Colombie britannique. En ce sens, les tribunaux canadiens devraient avoir la possibilité de se prononcer sur ces enjeux, « car ces droits jouent un rôle essentiel dans une société libre et démocratique et incarnent des valeurs canadiennes fondamentales ».

La deuxième affaire s’inscrit dans un contexte de contrefaçon en ligne. Un distributeur vendait illégalement via Internet des éléments de propriété intellectuelle appartenant à une entreprise de technologie basée au Canada. Étant donné que le contrefacteur œuvrait à partir d’un endroit inconnu et qu’il bénéficiait de l’indexation de ses sites sur les moteurs de recherche, l’entreprise canadienne a demandé à Google d’intervenir. Google a accepté de supprimer certaines pages, mais a refusé de désindexer les sites Internet dans leur intégralité en se limitant à l’extension « google.ca ».

C’est ici que le processus judiciaire s’est enclenché, et que la problématique juridique a émergé : la multinationale Google peut-elle se voir ordonner de désindexer l’ensemble des sites Internet du contrefacteur, et ce, sur une base mondiale (incluant google.com) ? La Cour suprême du Canada a répondu par la positive – sept juges contre deux.

Intervenir « mondialement »

Suite à une analyse approfondie des principes régissant les injonctions, le plus haut tribunal du pays relève que la « seule façon » de faire cesser la contrefaçon est d’intervenir « mondialement ». Autrement dit, Google doit désindexer les sites Internet intégraux et sur toutes les extensions (google.ca, google.com, etc.). Les effets de cette décision concernent en ce sens tous les internautes, sans égard au pays d’appartenance.

D’aucuns pourraient voir un paradoxe entre ces deux arrêts, pourtant rendus à cinq jours d’intervalle par quasiment le même banc de juges. La juridiction doit être locale, tandis que désindexation doit être globale…

En réalité, le vrai objectif est d’assurer l’effectivité des droits des internautes de manière concrète à l’heure des technologies de l’information et des nouveaux modèles d’affaires. La France, et plus généralement l’Union européenne, connaît des défis similaires qui portent les noms de « droit à l’oubli » ou encore de « consentement en ligne ».

C’est donc vers une fertilisation juridique croisée entre les différents pays qu’il faut tendre. Puisque, comme le relève fort justement la Cour suprême du Canada, « le problème en l’espèce se pose en ligne et à l’échelle mondiale. L’Internet n’a pas de frontières — son habitat naturel est mondial ».

Par Antoine Guilmain, Karl Delwaide et Antoine Aylwin, avocats chez Fasken Martineau DuMoulin, groupe Protection de l’information et de la vie privée.

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