Un vote qui annonce « la fin prochaine du Royaume-Uni tel que l’on le connaît »

Ainsi, le piège que David Cameron a voulu tendre à ses adversaires europhobes au sein du parti conservateur britannique s’est refermé sur lui. Le premier ministre britannique pensait faire coup double avec ce référendum : obtenir de nouvelles exemptions britanniques de la part des dirigeants européens dans une négociation sous pression et, une fois ces concessions obtenues, couper l’herbe sous le pied des eurosceptiques, assurer sous sa direction personnelle la victoire du camp du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne et faire taire, peut-être définitivement, les dissensions qui ravagent le conservatisme britannique depuis le départ de Margaret Thatcher en 1990.

Le moins que l’on puisse dire c’est que la stratégie de Cameron a échoué, et il fait face désormais à une crise politique sans précédent.

L’indépendance de l’Ecosse

Non seulement il devra gérer la difficile transition vers la sortie britannique des institutions européennes, transition parsemée d’embûches et d’incertitudes qui va durer au moins deux ans et qui aura des conséquences graves sur la stabilité de l’économie et, partant, de la société britannique, mais il aura aussi à faire face à une véritable crise constitutionnelle interne, avec l’exigence déjà affirmée par la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, qui, comme prévu par les sondages, a voté massivement en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE.

Le vote du 23 juin marque la fin d’un cycle de plus de quarante ans outre-Manche. Si le Royaume-Uni est devenu effectivement membre de la Communauté économique européenne en 1972 sous le gouvernement d’Edward Heath, c’est en 1975 que l’avenir européen des Britanniques a été scellé.

Les travaillistes, nouvellement élus, ont organisé le premier référendum européen, en soumettant au vote les nouveaux termes de l’adhésion, renégociés avec les instances européennes par le gouvernement Wilson. Le résultat a été sans conteste : 65 % des votants ont voté en faveur de l’adhésion britannique. On notera en passant que le contexte politique de ce référendum a été très différent de celui du référendum du 23 juin.

Powell et ses « rivières de sang »

Comme aujourd’hui, les deux grands partis étaient divisés sur cette question, mais, à la différence des débats actuels, ceux de 1975 étaient fortement influencés par une gauche travailliste, certes minoritaire dans son refus de l’intégration européenne, mais néanmoins représentée par des figures historiques du mouvement travailliste et portée par un mouvement syndical encore puissant.

Michael Foot et Tony Benn considéraient à l’époque que la voie britannique vers le socialisme serait entravée par les règles de la Communauté européenne et que la Grande-Bretagne avait mieux à faire que de rejoindre un « club des riches ». Du côté des conservateurs, une voix dominait le camp des opposants à l’Europe : celle d’Enoch Powell, dont la réputation s’était construite à la fin des années 1960 autour de la question de l’immigration « de couleur ».

Avant de s’attaquer au projet européen, Powell avait en effet prédit des « rivières de sang » dans les rues si l’on autorisait des immigrés de l’ancien Empire à rester sur le sol britannique. A beaucoup d’égards on peut voir Powell, qui, comme Margaret Thatcher, conjuguait un nationalisme britannique anglo-centrique et une détestation de toute intervention étatique, comme la figure tutélaire du mouvement actuel en faveur du « Brexit », comme le père symbolique, en quelque sorte, de Nigel Farage et de Boris Johnson.

De l’avis de tous les observateurs, le débat sur le « Brexit » a été largement dominé par la droite conservatrice la plus dure et la critique de gauche de l’Union européenne a été largement inaudible. La décision du premier dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, de rallier le camp du « remain », malgré ses réticences personnelles fortes concernant l’organisation actuelle de l’Europe (Corbyn a critiqué très vigoureusement le sort réservé à la Grèce par les institutions européennes), a sans doute été déterminante dans la relative faiblesse du mouvement en faveur du « Lexit » (sortie « de gauche » de l’Union européenne).

Un « independence day »

Du coup, le terrain politique, depuis des mois, a été presque intégralement occupé par les arguments concernant l’identité et la souveraineté nationales et la question des migrants. Les vieux démons britanniques – nostalgie d’une « grandeur » perdue, sentiment de supériorité envers le reste de l’Europe, xénophobie anti-immigrés – ont pu pleinement s’épanouir pendant une campagne qui a parfois touché le fond en termes d’argumentaires à l’emporte-pièce.

La victoire du « Brexit » peut donc être appréhendée comme la victoire de la droite xénophobe anglaise (mais également galloise, ce qui constitue une surprise) et permettra entre autres l’ancrage durable du parti de Nigel Farage, le United Kingdom Independence Party, sur l’échiquier politique britannique. Elle vient confirmer par ailleurs le clivage désormais insurmontable entre l’Ecosse, isolée dans son attachement aux institutions européennes comme dans son refus de la xénophobie ambiante, et le reste du royaume.

Le référendum du 23 juin marque peut-être un « independence day » pour les partisans anglais du « Brexit », pour reprendre un titre du tabloïde britannique The Sun, mais l’on peut aussi estimer qu’en entraînant la population écossaise dans une rupture qu’elle n’a pas souhaitée avec l’Europe il conduira, peut-être inéluctablement, à la fin prochaine du Royaume-Uni tel que l’on le connaît.

Par Keith Dixon, professeur honoraire de civilisation britannique à l’université Lumière-Lyon-II

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