Une baie vitrée sur l’univers

La nouvelle a fait le tour du monde en février : à peine plus de cent ans après que Einstein eut prédit l’existence des ondes gravitationnelles, la collaboration internationale Ligo-Virgo annonçait la toute première observation directe de ces ondes de déformation de l’espace-temps, par deux interféromètres terrestres. Une nouvelle fenêtre venait de s’entrebâiller sur l’univers permettant d’observer pour la première fois une collision de trous noirs. Complémentaire de l’astronomie «photonique», celle des télescopes et radiotélescopes classiques, l’astronomie gravitationnelle était née. Moins de quatre mois plus tard, le succès de la mission «Lisa Pathfinder» vient de démontrer la faisabilité de l’interféromètre spatial eLisa qui devrait être lancé dans une dizaine d’années. Cette fois, ce n’est plus seulement une fenêtre mais une baie vitrée qui s’ouvre sur le cosmos et ses origines cataclysmiques.

Proposé dans le cadre des grandes missions de l’Agence spatiale européenne, eLisa, le projet d’observatoire spatial d’ondes gravitationnelles permettra une extension considérable de l’observation de l’univers à travers les ondes gravitationnelles. Il utilisera la technique déjà exploitée par Ligo et Virgo mais, située dans l’espace, ses dimensions dépasseront de plusieurs ordres de grandeur celles de ses équivalents terrestres ! Ainsi, eLisa pourra observer les ondes gravitationnelles de basses fréquences, un domaine complémentaire de celui de Ligo-Virgo. Et pourra se pencher sur des sources beaucoup plus variées : des collisions de trous noirs ayant des masses comprises entre 10 000 et 10 millions de masses solaires, des systèmes très asymétriques dans lesquels l’un des trous noirs à une masse proche du Soleil alors que l’autre à une masse de l’ordre de 1 million de masses solaires, mais aussi des milliards de systèmes binaires d’étoiles à neutron et de naines blanches présentes dans notre galaxie. Les performances de eLisa seront telles qu’il sera possible d’observer des coalescences de trous noirs massifs qui auraient eu lieu à peine 1 million d’années après le big-bang. Il sera possible non seulement de tester avec précision des prévisions de la physique fondamentale mais aussi, et surtout, d’étudier les scénarios d’évolution de l’univers depuis ses tous premiers instants. Un programme riche qui permettra d’ouvrir en grand notre nouvelle fenêtre sur l’univers.

Conception d’un trou noir à partir d’une image non datée vue de l’observatoire Gemini (Chili) par l’artiste Lynette Cook.  PHOTO AP
Conception d’un trou noir à partir d’une image non datée vue de l’observatoire Gemini (Chili) par l’artiste Lynette Cook.  PHOTO AP

Pour cela, l’instrument sera constitué d’une constellation de trois satellites éloignés de 1 million de kilomètres. A l’intérieur de chacun des satellites flottera un petit cube d’or et de platine appelé masse de référence. Des lasers détermineront en permanence la distance séparant chacune des masses de référence, la moindre variation de cette distance indiquant qu’une onde gravitationnelle est sans doute passée par là.

Encore faudra-t-il que ces masses ne soient soumises qu’à la gravité et donc pas perturbées par l’effet d’autres forces, surtout le vent solaire qui exercera sur les satellites une pression non négligeable. Ces satellites seront équipés d’un système complexe utilisant des microfusées, capables de réajuster en permanence la trajectoire des satellites en la recentrant autour des masses de référence, protégeant ces dernières de toute perturbation. La réussite de eLisa repose sur des techniques spatiales sophistiquées et inédites dont la faisabilité restait à démontrer. C’est justement ce que vient de faire Lisa Pathfinder.

Plus précisément, Lisa Pathfinder avait 2 objectifs : prouver qu’il est techniquement possible de positionner dans l’espace deux masses, puis d’en contrôler la trajectoire en orbite ; vérifier qu’une interférométrie de haute précision est capable, dans ces conditions, de mesurer des variations de distance de quelques picomètres (10-12 m, soit un millionième de millionième de mètre).

Lancée le 3 décembre 2015 depuis Kourou, Lisa Pathfinder est arrivée à la mi-janvier sur son orbite finale, le point de Lagrange L1, situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, où les attractions du Soleil et de la Terre se compensent. Les deux masses de référence ont ensuite été libérées, flottant à l’intérieur d’enceintes blindées distantes de 38 centimètres. Un dispositif ultraprécis de micro-propulsion équipe le satellite afin de compenser les effets des forces extérieures (comme le vent solaire). Un laser mesure en permanence la distance entre les deux masses flottantes, qui est censée rester constante en l’absence de forces extérieures.

Les opérations scientifiques ont débuté le 1er mars. Et quelques mois plus tard, le succès est au rendez-vous : alors que pour des raisons de coût, le niveau des exigences pour Lisa Pathfinder avait été fixé à un niveau sept fois moindre que pour celles attendues pour eLisa, les mesures montrent que les performances obtenues sont d’ores et déjà égales à celles souhaitées pour eLisa !

En termes plus quantitatifs, les forces extérieures parasites s’exerçant sur les masses de référence sont équivalentes à 6 femtonewton (10-15 newton), soit un «bruit» mécanique inférieur au poids qu’exercerait une bactérie E.coli sur Terre. Quant aux mesures interférométriques de distance, les résultats sont aussi spectaculaires : leur précision est près de 30 femtomètres (10-15 m), soit 100 fois meilleurs que les performances requises. Ces résultats, attendus depuis longtemps par la communauté scientifique et publiés cette semaine dans la revue Physical Review Letter, permettent d’envisager le démarrage de la mission eLisa dans les meilleures conditions possibles. La construction des éléments, qui devait commencer dès 2024, pour un lancement prévu en 2034, pourrait même être avancée. L’astronomie gravitationnelle a de grands jours devant elle !

Par Éric Plagnol, physicien au laboratoire Astroparticule et Cosmologie

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