Une Chine à deux visages

L’optimisme a laissé place au pessimisme. Le mini-krach boursier du 4 janvier 2016 réveille une nouvelle fois les inquiétudes internationales quant à la soutenabilité du modèle chinois, et à l’avenir du pays. Plus que jamais, la Chine est un pays à deux visages associant de grandes forces et de nombreuses faiblesses, suscitant tant des espoirs que des craintes à l’étranger. Ces défis protéiformes sont autant d’enjeux et d’opportunités pour une Chine qui fait face à des choix difficiles car indispensables à la poursuite de son développement.

Le régime politique chinois est de plus en plus présenté comme à bout de souffle au point que David Shambaugh affirme que le « rêve chinois » risque de se transformer en « cauchemar soviétique », c’est-à-dire en un effondrement du régime. Cependant, l’autoritarisme du régime, la centralisation du pouvoir autour de Xi Jinping à travers sa campagne anti-corruption, et la volonté croissante d’intégrer les élites au sein d’un Parti Communiste de 88 millions de membres, consolident le régime.

En parallèle, l’économie chinoise ralentit ce qui n’est pas sans alimenter les craintes des investisseurs. Après trois décennies de croissance à deux chiffres qui ont permis de multiplier par 50 le PIB depuis 1978 et de sortir des centaines de millions de chinois de la pauvreté, la « nouvelle normalité » est celle d’un taux de croissance avoisinant les 6 %. Les dirigeants chinois, conscients que leur légitimité repose sur la promesse du développement d’un développement économique, tentent, difficilement, de changer le modèle de croissance du pays afin qu’il repose non plus uniquement sur les investissements et les exportations, mais également sur la consommation intérieure.

Ce défi économique est renforcé par un défi démographique considérable qui a un impact sur la productivité du pays. La récente annonce de la fin de la politique de l’enfant unique cherche à limiter, à moyen et long terme, la baisse de la population active chinoise initiée en 2002. Le pays fait face à un vieillissement rapide de sa population, tout comme ses voisins japonais et sud-coréens, et à l’horizon 2050, l’âge médian en Chine sera, selon des projections de l’ONU, de huit ans supérieurs à celui aux Etats-Unis.

La première « alerte rouge » à la pollution à Pékin et la popularisation de l’expression « airpocalypse » sont des conséquences visibles d’une dégradation environnementale et d’une insécurité sanitaire qui menacent la poursuite du développement chinois. Il serait cependant erroné de considérer que les élites n’ont pas conscience du danger que ce défi environnemental pose à la légitimité du Parti Communiste. Le pays a donc adopté une attitude volontariste lors de la COP21 de Paris, a annoncé un pic dans ses émissions carbone pour 2030, et multiplie le recours aux énergies renouvelables, alors qu’en 2014, la Chine produisait déjà 28 % de l’électricité hydraulique mondiale.

Le maintien de la stabilité domestique et le contrôle de la population demeure une priorité pour le régime. Face, notamment, à la multiplication et la diversification des attaques terroristes qui ne touchent plus uniquement la province du Xinjiang et visent désormais des civils, le pays renforce son arsenal sécuritaire répressif, comme en témoigne l’entrée en vigueur de la première loi antiterroriste en janvier 2016, et son contrôle de l’Internet. Cependant, avec plus de 700 millions d’internautes, il apparaît comme difficile, voire impossible, de contrôler de façon efficace la population et le risque, pour la Chine, est de dégrader son image internationale comme à travers l’expulsion de la journaliste Ursula Gauthier.

La perception d’une menace militaire chinoise se renforce également alors que les dépenses militaires de la Chine, désormais les secondes au monde, ont été multipliées par cinq en quinze ans, et que le pays a récemment officialisé la construction d’un second porte-avions. Cependant, malgré ses efforts de modernisation, la Chine est encore loin de rattraper son retard sur les Etats-Unis et les militaires chinois ne disposent pas, à l’inverse de leurs homologues américains, d’expérience opérationnelle depuis la guerre contre le Vietnam de 1979. Le fait que la Chine soit l’un des principaux contributeurs en termes de troupes aux opérations de maintien de la paix et se soit engagée à former des casques bleus africains n’altère pas cette perception.

La Chine inquiète donc le reste du monde. Et pourtant, la hausse des tensions en mers de Chine méridionale et orientale n’a pas provoqué d’incidents militaires, notamment car la Chine et ses voisins n’y ont pas intérêt. Les dirigeants chinois demeurent victimes d’un complexe d’insécurité et cherchent à maintenir une stabilité dans la périphérie indispensable à la poursuite de l’ascension du pays. La Chine tente également de rassurer ses voisins en se présentant comme un moteur de croissance indispensable, et non comme un prédateur. La présentation d’une « Ceinture économique de la Route de la Soie », traversant le continent eurasiatique, d’une « Route de la Soie maritime du XXIe siècle », reliant la mer de Chine méridionale à l’Europe, et la création d’une banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, en sont des expressions.

Cette ambivalence chinoise doit être prise en compte afin de prendre conscience, objectivement, du potentiel du pays et de mieux appréhender son avenir. Il convient d’éviter les excès qui consisteraient à présenter la Chine soit comme une superpuissance, soit à l’inverse comme un pays sur le point de s’effondrer. La Chine n’est plus l’eldorado d’hier pour les investisseurs internationaux, mais présente encore de nombreuses opportunités économiques.

Antoine Bondaz est docteur, chercheur associé à Asia Centre et ancien chercheur invité au Carnegie Endowment for International Peace.

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