Une course d’obstacles de longue haleine

On annonçait une négociation rapide, qui devait se clore fin 2014, puis fin 2015. Après dix-huit mois d’exploration, le menu du projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) est beaucoup plus long à digérer que prévu.

Les obstacles se dressent même pour les questions qui semblaient a priori les plus simples, comme la réduction des tarifs douaniers – déjà très faibles en moyenne entre les deux rives – ou l’inclusion d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS), qui existe dans la quasi-totalité des traités bilatéraux d’investissement.

Par ailleurs, le secret maintenu sur le mandat de négociation et l’annonce d’une négociation rapide ont eu un effet anxiogène toxique sur les opinions publiques. La levée de boucliers a été immédiate face à un risque d’abaissement des normes européennes ou de limitation du pouvoir des États à légiférer. Faut-il craindre un enlisement du dossier ? Ou considérer que le TTIP entre dans un nouveau cycle 2.0 d’élaboration dans lequel il faut distinguer les enjeux de court terme et ceux de moyen terme ?

On n’attend pas d’annonce phare à court terme à l’issue du 8e round de négociation (2 au 6 février 2015). Il porte essentiellement sur la coopération réglementaire, notamment en matière sanitaire et phytosanitaire (SPS). Il est technique et consiste avant tout – comme lors des trois derniers rounds - à croiser les estimations réciproques de ce qui est envisageable pour réduire les coûts d’importation et d’exportation induits par des normes différentes (coûts de production appliquant différentes normes, certification, contrôle aux frontières, etc.).

Deux étapes

Les enjeux du périmètre de la négociation (notamment l’inclusion ou non des services financiers et l’ouverture des marchés publics à l’échelon fédéral et des États) sont repoussés à plus tard. La question épineuse de l’inclusion d’un ISDS est elle-même suspendue, remise à l’étude, et ne sera tranchée qu’en fin de négociation. Les négociateurs cherchant à équilibrer leurs concessions sur les divers volets de la négociation, les termes de l’accord envisagé ne pourront d’ailleurs être annoncés qu’à un stade assez avancé.

Il y a en revanche un séquençage beaucoup plus important pour la finalisation du TTIP qu’il faut avoir à l’esprit si l’on veut prendre la mesure de l’enjeu qui se joue. Il faut distinguer deux étapes.

D’une part, la « négociation » de divers chapitres (tarifs douaniers, indications géographiques, inclusion d’un chapitre énergie ou d’un chapitre sur la régulation financière, ouverture des marchés publics, etc.) et des principes horizontaux qui établiront les règles de base d’une convergence réglementaire bilatérale - qui fait la spécificité du projet par rapport aux précédents accords commerciaux et dont seraient tirés 80 % des bénéfices du TTIP.

Cette première étape est entre les mains des négociateurs et sera soumise à la ratification de l’accord final.

Elle se distingue, d’autre part, de la deuxième étape de « coopération » réglementaire bilatérale qui sera engagée entre les organes de régulation, à l’issue de la ratification, pour déterminer, secteur par secteur et norme par norme si une reconnaissance mutuelle est envisageable.

Une ligne rouge

Cette deuxième étape, qui ne fait à l’heure actuelle que l’objet d’une exploration permettant d’orienter la définition des principes horizontaux, pourra prendre des années et reste donc un enjeu de moyen terme, voire long terme.

Au stade actuel de la négociation, le changement de commissaire européen au commerce peut contribuer à changer la donne. La Suédoise Cecilia Malmström, a amorcé un tournant par rapport à son prédécesseur en s’engageant sur un maximum de transparence et en traçant une ligne rouge essentielle : en matière de précaution il ne peut y avoir de compromis comme sur les tarifs douaniers. La coopération réglementaire ne peut porter que sur des normes que l’on juge équivalentes.

Elle a également admis que la phase de négociation elle-même prendrait du temps. Elle sera d’autant plus longue que ce n’est absolument pas la priorité actuelle des États-Unis qui se concentrent sur le Partenariat trans-Pacifique (TPP) négocié avec onze autres pays. Elle dépendra aussi du stade auquel une majorité se dégagera entre républicains et démocrates pour voter une procédure de « Fast Track » qui permet au président de négocier des accords commerciaux sans faire intervenir le Congrès avant la validation finale.

Il n’y aura pas cependant d’avancée significative dans la négociation tant que l’on n’a pas déterminé le principe qui sera appliqué pour les normes qui ne présentent pas le même niveau de protection (soit 60 % des normes qui se répartissent quasiment à égalité entre celles qui offrent un niveau de protection plus élevé côté européen et plus élevé côté américain).

Le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, avait fait écho début décembre 2014 à la recommandation de l’ancien directeur général de l’OMC, Pascal Lamy, visant à établir clairement que seule la norme la plus élevée pourrait être retenue. C’est une étape décisive que les négociateurs devront franchir pour assurer la légitimité du projet aux yeux des citoyens et déboucher sur un accord final, qui après ratification, permettrait aux régulateurs d’amorcer la coopération réglementaire.

Elvire Fabry, chercheur senior, Institut Jacques Delors

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