Une déclaration de guerre au Vatican

Lors de ses vœux à la curie romaine, ce lundi 22 décembre 2014, le pape François établit un « catalogue de quinze maladies ». Pendant plus de vingt minutes, pour définir ce qui se passe à la curie, il en donne toutes les caractéristiques d’une secte. « La maladie du blocage mental », « la maladie de l’indifférence au monde extérieur », « la maladie des cercles fermés », « la maladie de divinisation des chefs », « la maladie de tout cumuler », « la maladie de la zizanie comme Satan », etc. Depuis Max Weber, on définit la secte selon une double coupure. La coupure interne, d’une part : des chefs cumulent tous les pouvoirs et attributs symboliques et matériels au sein du groupe au détriment des fidèles. La coupure externe, d’autre part : le groupe social est coupé du reste du monde et se conçoit comme une élite sélectionnée et repliée sur elle-même, fermée à son environnement. Pour la première fois depuis 1089, date de la création de la curie romaine, son chef, l’évêque de Rome, définit son groupe de collaborateurs telle une secte, tel un corps malade coupé du monde et sous la houlette de « Satan ».

En déclarant cela, le pape souhaite réaliser une révolution théologique et politique.
Théologique, en premier lieu. A sa création, la curie romaine a pour mission de contrôler et de reprendre les rênes de la diffusion du message évangélique du fait des siècles passés durant lesquels le monde politique et les fidèles avaient corrompu le message des évangiles. L’enjeu est de remettre le message de Jésus aux mains d’une élite institutionnelle pour le salut des hommes. Cette révolution grégorienne est suivie d’une autre révolution, en réaction : la révolution franciscaine. Celle-ci consiste en l’exact opposé : l’institution ne peut être qu’au service de l’évangile. C’est François d’Assise qui va le proposer en 1209 au pape Innocent III. Ce pape, sans le soutenir expressément, le laissera faire. Aujourd’hui, la révolution franciscaine atteint le sommet de la pyramide hiérarchique : le pape justement a choisi de placer son pontificat dans sa lignée en se faisant appeler François. On comprend maintenant pourquoi.

Politique, en second lieu. La papauté est fondée sur un principe hiérarchique pontificale : l’organisation catholique est centralisée à la curie romaine avec pour chef suprême, le successeur de Pierre. Détenteur du pouvoir sacré de Dieu, il dispense les biens du salut pour le salut de tous et de chacun, selon une distinction hiérarchique essentielle. D’un côté les prêtres, de l’autre, les non-prêtres. Même Vatican II qui constituait pourtant un mouvement de réforme dans l’Eglise n’est pas revenu sur cette distinction dans sa constitution dogmatique, Lumen Gentium, en son article 10 en maintenant « la différence d’essence et non pas de degré » entre les prêtres et les autres. Or François en stigmatisant la curie et les cardinaux, en leur demandant d’abandonner « les profits matériels et mondains », d’être « comme les autres », de « sourire », de « prendre des vacances », « humbles et serviteurs » souhaitent indirectement remettre en cause cette distinction de pouvoir hiérarchique. Le Pape François nous surprend.

Face à cette révolution théologico-politique, deux questions viennent à l’esprit.
Tout d’abord, comment des cardinaux conservateurs ont-ils pu élire un tel pape, cardinaux qui viennent d’avoir « un savon » historique de la part de leur chef ? Suite à la démission de Benoit XVI, les cardinaux étaient convaincus qu’il fallait remettre de l’ordre dans la gestion et l’administration de l’Eglise. Voilà pourquoi François a été élu. Mais remettre de l’ordre dans l’administration catholique peut s’entendre de deux points de vue. Le premier : c’est mieux gérer en assainissant les finances et améliorant les process administratifs. Le pape François a déjà commencé à le faire. Le second, au sens ecclésiologique, c’est interroger les principes et fondements mêmes de l’organisation hiérarchique catholique et notamment la distinction décriée à l’époque par Luther, la « différence d’essence et non de degré » entre le prêtre et le fidèle. Le pape François vient tout simplement de le faire à la face de tous ses cardinaux et fidèles…

D’où la deuxième question : combien de temps va-t-il être encore pape ? Ne disposant que de très peu de soutien à la curie, quels sont ses soutiens extérieurs ? Certains fidèles, de plus en plus nombreux, l’opinion publique et certains medias…Même s’il est soutenu ainsi, en interne, une guerre vient d’être officiellement déclarée. Or pour changer tous les cardinaux électeurs il faut compter au moins 20 ans, une génération de personnes formées à la révolution franciscaine nommée cardinaux. Le pape François tiendra-t-il ou vivra-t-il encore 20 ans ? L’institution curiale a tout son temps pour remettre à l’ordre du jour la révolution grégorienne au détriment de la révolution franciscaine. Voilà pourquoi elle dirige le monde catholique depuis près1000 ans.

Olivier Bobineau, sociologue and l’auteur de L’Empire des papes. Une sociologie du pouvoir dans l’Eglise (CNRS éditions, 2013).

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