Une dynamique d’investissement

«Errare humanum est, sed perseverare diabolicum est» Persévérer, telle semble être la devise des décideurs politiques de la zone euro. Nous sommes embourbés dans une croissance anémique autoentretenue par la résignation de tous. La sortie de crise passe par l’initiative d’hommes d’Etat capables de galvaniser les énergies pour investir. Mais l’Europe d’aujourd’hui n’a pas d’hommes d’Etat ; ce sont au contraire nos gouvernements qui nous ont enfoncés dans la situation où nous sommes.

La baisse de l’investissement en Europe a atteint 20 % depuis la fin 2007, mais plus de 40 % dans les pays les plus dévastés d’Europe du Sud. L’obsession des dettes anesthésie les dirigeants qui refusent de voir que seule une politique réanimant le dynamisme économique peut consolider les dettes dans la durée. S’il est une idée qui réunit Keynes et Schumpeter, c’est que seule la projection de l’économie vers l’avant, par l’investissement porteur d’avenir, permet aux sociétés frappées par une crise profonde de se régénérer.

La croissance soutenable doit rassembler une double ambition : d’une part créer des emplois et former de nouvelles compétences, c’est-à-dire revaloriser le travail ; d’autre part reconnaître la dette écologique en stoppant puis en inversant la détérioration de l’environnement. Puisque la Commission européenne est enfin sortie de son tabou anti-interventionniste en endossant le plan Junker et que la Banque centrale européenne (BCE) a décidé d’une politique d’accroissement de son bilan, il faut s’appuyer sur ces frémissements pour circonscrire l’inertie des gouvernements.

Retard d’investissement

On peut rassembler ces deux objectifs dans une proposition cohérente de financement de la transition énergétique qui ne sollicite pas les budgets des Etats. Elle s’inscrirait en outre dans les engagements du Conseil européen pour le « paquet énergie climat 2020 » – 20 % de réduction des émissions de CO2, 20 % d’augmentation des énergies renouvelables, 20 % de hausse de l’efficacité énergétique – qui ne seront pas respectés si le retard d’investissement se poursuit.

Elle couvrirait quatre types d’investissements : l’offre d’énergie renouvelable, les réseaux intelligents de distribution d’électricité, la rénovation des bâtiments pour élever l’efficacité énergétique et diminuer l’émission de carbone, les réseaux de transport ferroviaire et de mobilité urbaine. Tous ces investissements sont porteurs d’innovation. Les deux dernières catégories sont fortement créatrices d’emplois, mais exigent de former de nouvelles compétences. Les montants concernés atteindraient 1 000 milliards d’euros jusqu’à 2020, la taille critique nécessaire pour changer le régime de croissance.

Pour que ces investissements aient un effet puissant d’incitation sur le secteur privé, il faut découpler la valeur sociale du carbone – qui doit être élevée pour offrir des rendements attractifs aux projets – du prix de marché du carbone, actuellement très bas mais dont une forte augmentation serait aujourd’hui insupportable. Cela veut dire que les investissements pour relancer la croissance ne peuvent être financés actuellement par les marchés avec l’ampleur nécessaire. Ils ne peuvent pas plus l’être par une taxe carbone élevée. Il faut donc envisager un autre mécanisme financier.

Créateurs de revenus

Seule une valeur du carbone élevée et garantie par la puissance publique permettrait d’orienter l’investissement vers ces projets. Des agences indépendantes certifieraient que cette réduction a bien eu lieu, et délivreraient dans ce cas des certificats aux entreprises.

Ces certificats pourraient être transmis par les entreprises à leurs prêteurs en remboursement des crédits, et les prêteurs pourraient les transférer à la banque centrale qui les accepterait sous la forme d’actifs carbone dans son bilan, à hauteur de ce que l’Etat garantit par sa politique de soutien de la croissance.

En achetant des actifs carbone garantis au lieu de titres de dettes publiques existantes, la BCE acquerrait des actifs privés directement créateurs de revenus. Le financement monétaire des investissements nouveaux relancerait la croissance, et écarterait le risque de déflation.

Michel Aglietta, Centre d’études prospectives et d’informations internationales.

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